MAJ 24-01-13 Nietzsche : Il n'y a pas de faits, il n'y a que des interprétations.
En ce 24 janvier 2013, avec la Commission Charbonneau, Martin Dumont et son supposé mensonge à 850 000$, Pinocchio est encore une fois sur la sellette. Envie spontanée de rappeler que:
– Les études le montrent: tout le monde ment. Les hommes 6 fois par jour et les femmes 3 fois par jour. Évidemment il s'agit, la plupart du temps, de mensonges sans grande conséquence qui ne font qu'enjoliver la réalité ou simplifier la vie.
– Les États pourchassent et pourfendent les menteurs alors que le mensonge d'état est si glorifié qu'on l'appelle "RAISON D'ÉTAT". Un exemple: le mensonge états-unien quant à la supposée possession d'armes de destruction massive par l'Irak.
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Le mensonge, toujours dans l'air du temps, m'a inspiré ce billet et ramenée dans le passé. On ment beaucoup. On parle beaucoup du mensonge. Ces temps-ci, pas une journée sans que les procureurs de Dominique Strauss-Khan ne clament à tous vents, les terribles et impardonnables mensonges de Nafissatou Diallo. À contrario, pas une journée sans qu'on ne célèbre l'authenticité et la sincérité de Jack Layton, récemment décédé.
On accuse allègrement.: "Quel menteur! Elle ment comme elle respire! A beau mentir qui vient de loin." Dans la sphère politique, c'est le top: "Untel a menti Monsieur le Président! J'exige que Madame fasse des excuses pour ce mensonge éhonté! Les politiciens sont tous des menteurs et des tricheurs" …
À la petite école, les pieuses de Saint-Joseph disaient que c'était le plus fréquenté des péchés et qu'il était, selon son contenu et sa portée, véniel (séjour au purgatoire) ou mortel (enfer pour l'éternité), si on mourait sans s'en être confessé et obtenu le pardon.
Tous les gens mentent. Certains de façon compulsive, d'autres à l'occasion, et d'autres encore, plus rarement. Tout le monde a déjà menti. D'aucuns confondent et traitent de menteurs ceux qui émettent des opinions avec lesquels ils sont en désaccord. Un peu ridicule car, outre les faits sur lesquels on fonde son argumentaire, il n'y a pas de vraie ou de fausse opinion.
Il m'arrive de faire un peu de broderie. D'enjoliver la réalité. De mettre des guirlandes dans une journée gris souris, de tartiner épais pour faire plaisir ou pour faire réagir. En fait, j'exagère ou je saupoudre la fadeur de sel et de poivre… Je sais pertinemment que ça n'est pas par vertu que je suis incapable de vrais mensonges. C'est à cause d'un choc post traumatique…
J'ai 8 ou 9 ans. Un vendredi, la soeur, ma maîtresse d'école, me demande d'aller porter ses devoirs à Marcel, un camarade de classe malade qui reste pas très loin de chez moi. En fait, j'habitais le trou de cul du monde, à New-Croydon, un marais, un bled en friche faisant maintenant partie de Saint-Hubert. C'était le printemps, tout était inondé. La petite route menant chez l'ami Marcel s'engloutissait dans deux à 3 pieds d'eau, ma maison baignait dans la bouette et je n'avais pas de bottes de caoutchouc à cuisse. La ligne téléphonique étant coupée, je ne pouvais appeler Marcel, lequel, j'en suis certaine, ne souffrait de rien d'autre que de la peur de se noyer s'il mettait le pied dehors. Malgré mes suppliques pour qu'elle me laisse y aller, ma mère a refusé net que je m'y aventure: "Elle veut te faire attraper ton coup de mort Soeur Madeleine-du-Rédempteur!!!"
Le lundi, retour en classe.
Soeur Madeleine-du-Rédempteur — Alors Mademoiselle Robert, vous avez amené ses devoirs au petit Marcel?
Quand elle nous vouvoie et nous appelle Mademoiselle, on sait qu'elle s'apprête à cracher du venin et que le goût de l'insulte la travaille.
Moi — Heu… Non ma soeur, je n'ai pas pu.
— Ah bon… Vous n'avez pas pu hein… Et pourquoi donc? Vous n'avez pas eu le temps, vous étiez trop occupée à faire des bêtises comme toujours, je suppose.
— Heu… Non ma soeur, je voulais tellement y aller mais je n'ai vraiment pas pu parce que…
— DIS-NOUS POURQUOI TU NE L'AS PAS FAIT !!! hurle-t-elle
Là, j'ai peur et j'ai honte. Honte de dire que j'habite une chaumière dans une pataugeoire boueuse. Honte d'avouer que je n'avais pas de bottes pour me rendre chez Marcel. Honte de ne pas avoir eu de bateau ou de radeau pour aller lui porter ses devoirs… Tout se bouscule en moi, je ne sais plus quoi dire et je m'entends rétorquer avec un aplomb de menteuse de première:
— Je n'ai pas pu parce que nous avons été à Québec toute la famille, en fin de semaine. Et vlan! Premier mensonge.
Évidemment, je ne suis jamais allée à Québec de ma vie. Je ne sais même pas où c'est mais pour moi c'est au bout du monde car ma soeur aînée, qui est aussi ma marraine, y est déjà allée. En voyage de noce. 🙂
— Tu es allée à Quéééébeeeeec…, grimace-t-elle, en étirant chaque syllabe, et bien, viens immédiatement en avant nous raconter ce voyage!!! , crie-t-elle de sa voix habituelle, c'est-à-dire, féroce.
Je m'amène devant la classe d'un pas traînant, histoire de réfléchir à comment me sortir de ce faux pas. Je suis rouge comme le coeur saignant du Christ, sur le mur. Les mots se bousculent en moi pour faire surface:
— Bien, y'a rien à raconter, on a dû aller à Québec voir ma tante malade… que je baragouine. Et re-vlan! Je m'enlise. Deuxième mensonge.
—MENTEUUUUSE! Vous y êtes allés comment à Québec, puisque ton père n'a même pas d'automobile? postillonne-t-elle, méprisante, en me pinçant le bras gauche au sang.
Là, c'est la cata. Je suis étourdie, je suffoque, petite bestiole prise au piège. Vingt-sept paires de yeux silencieux me pétrifient et je m'entends dire, sans la moindre hésitation:
— Nous sommes allés … en avion!… Et vlan-vlan-vlan !!! Troisième mensonge. Celui qui tue.
Soeur Madeleine-du-Rédempteur croule de rire. Elle rit tellement que je suis sûre qu'elle va pisser dans sa "culotte à grands manches", méritant ainsi son titre de pisseuse. Elle rit à cornette déployée. Se tient le ventre de ses deux grosses mains bénites. Et le troupeau d'élèves déboule de rire lui aussi, à l'unisson. Je pense m'évanouir. Toute la scène est d'une violence insupportable. J'ai le sentiment que cet ouragan de rire va me détruire, me pulvériser. L'univers se moque de moi. Le cosmos sait que je suis une sale menteuse.
Évidemment, il n'y a pas d'avion qui va de Montréal à Québec. Ce que j'ignore. Évidemment, nous sommes pauvres comme Job – elle l'a bien dit, la vache, que mon père n'a même pas de voiture— Évidemment, nous sommes sept dans la corbeille Robert, comment aurions-nous pu aller à Québec? Et de surcroît en avion ? On n'avait ni les moyens, ni les moyens de transports. Juste nos pieds.
De toute ma vie, jamais je n'ai eu aussi honte. Et je me suis promis deux ou trois petites choses. La première: j'irais à Québec. La seconde: je visiterais le monde, en avion, en passant par Québec. La troisième: a) Le mépris de Soeur Madeleine-du-Rédempteur n'aurait qu'un temps; b) je lui en ferais baver le reste de l'année scolaire.
Ah oui, je me suis fait une autre promesse: plus jamais je ne ferais de vrai mensonge. Et j'ai tenu parole. Vous doutez? Z'avez qu'à regarder mon nez. Plus court que ça, on le prendrait pour un cli…… Ça, ça ne ment pas.