Aujourd'hui, mercredi 14 septembre, le journal La Presse publie Si vulnérable, un texte que j'avais appelé Quelle mouche a piqué Nancy Huston?. Ce texte que je reprends plus bas est ma réaction à l'entrevue accordée par cette écrivaine à Chantal Guy, ce lundi, dans le même journal.
En fait, j'aurais voulu écrire strictement sur les propos et la condamnation de Madame Huston à l'égard de "l'hôte" de l'émission Tout le monde en parle, Guy A Lepage. Mais le contenu de l'article portant essentiellement sur Nelly Arcan, je n'ai pas pu éviter de parler de la disparue.
Avec un court recul, je ne comprends pas pourquoi Madame Huston a amené dans le public, à un premier degré, une partie de l'oeuvre fictive d'Arcan (La honte) en pointant un "coupable". L'empathie et la solidarité avec une personne, l'admiration pour son oeuvre, n'obligent pas à pointer un responsable de sa détresse. Pourquoi avoir saisi l'occasion de cette publication posthume de Nelly Arcan, en librairie aujourd'hui, pour décocher une flèche empoisonnée…?
Je vous invite à commenter ici les impressions que vous inspire Si vulnérable, (La Presse) ou le texte original qui suit
Quelle mouche a piqué Nancy Huston ?
J’ai été stupéfiée ce lundi de lire les commentaires de Nancy Huston, interviewée dans La Presse par Chantal Guy.
Moi qui suis une fan finie de cette écrivaine, j’avoue m’être demandé de quel droit elle pouvait « culpabiliser » une personne, nommément l’animateur de Tout le monde en parle, relativement à la détresse que Nelly Arcan avait éprouvée après son passage sur ce plateau en septembre 2007.
Interloquée, j’ai regardé à nouveau l’entrevue en question, j’ai lu le texte de Nelly Arcan intitulé La Honte, dans lequel elle décline, dans un exercice littéraire, sa détresse suite à cette entrevue. Et n’ai toujours pas compris le coup de gueule de Huston.
Je suis féministe. J’aime Nancy Huston dont j’ai lu toute l’œuvre. J’aimais et j’aime toujours Nelly Arcan dont j’ai lu tous les livres aussi. Ce serait facile de m’aveugler d’amour et de solidarité.
Nelly Arcan incarnait ce qu’elle exécrait et dénonçait. À sa manière. Elle vivait en enfer, grugée par le cancer du narcissisme maladif, obnubilée par son besoin insatiable de séduire et d’être la plus belle à tout prix. En même temps, elle se désagrégeait de détestation d’elle-même et s’indignait du sort des femmes condamnées à consommer et à être consommées. À chaque fois que je l’apercevais à la télévision, j’avais peur qu’elles s’écroule, se fracture en mille morceaux tant elle était fragile.
Pourquoi a-t-elle été terrassée par son passage à TLMEP plus que par une autre apparition télévisuelle (les Francs Tireurs par exemple où Richard Martineau avait, à mon humble avis, été bien moins sympa que Guy A Lepage) ? On peut, sans être déplacé, supposer que ses démons la torturaient davantage durant cette période, et qu’elle ne pouvait choisir pire moment pour aller se jeter dans une gueule de 64 000 000 millions de dents (2M spectateurs). Aussi, qu’elle n’avait pas l’étoffe pour jouer à ce jeu dangereux de la confrontation publique.
Et puis, la déception se situe toujours beaucoup sur le plan fantasmatique. Elle est proportionnelle à la distance entre l’attente, ce qu’on s’était imaginé, et ce qui est éprouvé dans la réalité. Si la déception de soi, même non objectivement justifiée, peut être ravageuse chez une personne solide, imaginez comme elle peut-être dévastatrice chez celle dont l’estime de soi et l’aplomb identitaire sont chétifs.
Je connaissais un tantinet Nelly. Nous avions bavardé à deux reprises. Un court moment après une émission que nous avions faite, avec d’autres, sur l’hypersexualisation, et une autre fois, plus longuement, à l’aéroport Charles De Gaulle à Paris où nous attendions le même avion retardé devant nous ramener à Montréal. Nous avions échangé sur un passage d’un de mes livres dans lequel j’analyse brièvement le livre Putain et son auteure.
J’avais été émue de sentir sa vulnérabilité, plus exacerbée encore que ce que je soupçonnais. Sa hantise de vieillir et d’être laide. Son obsession de la mort. Sa boulimie d’être vue, regardée et désirée s’emmêlait à sa haine d’être vue, regardée et désirée. Dans un t-shirt blanc moulant et de grosses lunettes noires, elle était toute roulée en boule sur la banquette de l’aérogare. Comme une petite fille apeurée .
Bien sûr, l’animateur et son fou ont été baveux. La facture de l’émission et le rôle qu’ils y jouent obligent. Mais au delà des mots et des remarques malicieuses sur l’allure de vamp de Arcan ainsi que sur ses contradictions habituelles, j’ai perçu de la tendresse dans l’air. Nombre d’invités ont été bien plus amochés qu’elle sur ce plateau. Et on a entendu des remarques et commentaires autrement fielleux.
Nancy Huston aurait-elle oublié que Guy A Lepage et Dany Turcotte sont des humoristes, pas des psychanalystes ? Et que Tout le monde en parle n’est pas un cénacle littéraire ?
Si « l’hôte » de Tout le monde en parle « doit se culpabiliser » d’avoir mal traité Nelly Arcan, et bien nous devons tous et toutes en faire autant. Nancy Huston incluse. Car si personne n’est montée aux barricades en septembre 2007, après cette entrevue, ni vous, ni moi , ni Nancy Huston , c’est que a) soit il n’y avait pas matière, ou b) soit nous sommes tous des lâches.
J’opte, sans l’ombre d’une hésitation, pour l’hypothèse A.