N.b.: Ce billet a été sélectionné et publié, par le Nouvel Obs Plus le 17 novembre 2011. Je l'ai alors allongé d'une petite saynète porno.
L’efficacité de la pornographie réside dans ces morceaux de chair lustrée, ces seins arrogants, ces mamelons effrontés, ces queues impertinentes, ces chattes brillantinées, ces pompes, culs, pistons et orifices bref, toute cette tumescence et détumescence, toute cette concavité et convexité qui déclenchent instantanément une décharge d’adrénaline. L’ennui, puis l’écoeurement et l’abrutissement suivent.
La pornographie est efficace parce qu’elle est rassurante.
En renvoyant à l'aiguillage bien minuté, à la maîtrise, au déroulement prévu et prévisible, elle ne menace pas de faire défaillir, basculer ou perdre pied. Côté porno, c’est le versant choquant mais connu et réglé de la sexualité-génitalité : de l’amphétamine combinée à un puissant barbiturique! C'est l'utilisation bien rodée que l’on fait de son vibrateur, de son masturbateur de voyage [1] ou de son amant.
En montrant des mâles et des femelles insatiables de sexe, sans autre intérêt que, pour la femme, d’offrir ses orifices et pour l’homme de les remplir, elle suit une trajectoire simple et simpliste qui distrait de la complexité existentielle. Elle peut satisfaire l’obsession de pouvoir et de contrôle masculins qui se sont édulcorés dans le réel. Son déploiement simpliste détend et abêtit.
Elle est sans surprise et répétitive . C'est le versant pépère de l'érotisme.
Bien sûr, on se projette dans ces suaves nymphettes aux seins polissons, au sexe baveux, vêtues de jupettes à ras le clito, dans ces étalons aux érections hippopotamesques, véritables engins dispensateurs d’orgasmes…
La pornographie est efficace parce qu’elle est expéditive
Elle propose d’accéder au soulagement dans le moment même, à l’endroit même où le désir a surgi.
L’heure n’est-elle pas à la performance, à l'efficacité, au "vite qu'on en finisse"? Sprinteuse de l’aboutissement, la saynète pornographique fait de l'orgasme une secousse rapide et bénie. Ce qui rogne du temps n'est pas à la mode. Séduire, désirer, vaciller prennent trop de temps. Du temps qu’on n’a pas. On en a rien à cirer de jouir et de s’amuser par le chemin le plus long et le plus enlevant, le plus indirect et le moins fréquenté.
Ainsi, la pornographie est à l’image du jouet génital qui fait grimper à la vitesse de l’éclair la charge sexuelle puis la fait s'écrouler brusquement. La jouissance ressentie soulage momentanément. Elle rassérène rarement. C’est pour cela qu’on y revient, qu’elle peut créer la dépendance, qu’elle énerve autant qu’elle excite.
Cela dit, me font sourire les levers de boucliers qui la taxent d’animalité. En découpant l’être humain comme un gros saucisson, en rondelles viandeuses, la pornographie est certes limitative et mécanicienne mais elle est une construction spécifiquement humaine.
Enfin, convenons-en, la pornographie excite aussi des femmes. Ce qu’il faut comprendre une fois pour toutes, c’est que l’exacerbation génitale révèle peu de chose de l’intensité, de la profondeur et de la motivation du désir. De nombreuses recherches cliniques ont montré que vagins et vulves mouillent et se congestionnent à la vue d’images pornographiques que les femmes qualifieront ensuite de ridicules et franchement pas excitantes. Mentent-elles? Non. Les femmes comme les hommes peuvent être stimulées par la banalité et la stupidité, cette réaction ne signifiant nullement qu’elles jugent le propos globalement alléchant, émouvant ou transcendant.
Pour déprimer tout en s’excitant, rien de mieux qu’un porno! C’est un infaillible éteignoir. Voilà bien son paradoxe: déprimer en excitant efficacement.
[1] Jouet sexuel pour hommes vendu dans les boutiques érotiques. L’homme y insère son pénis et se laisse, littéralement, traire.