Lorsqu'on me demanda récemment quel était selon moi l'ingrédient-ciment d'une relation, j'ai répondu d'emblée, sans réfléchir : la complicité. Mais attention, me suis-je empressée d'ajouter, pas juste dans le couple! La complicité est un fil de dentelle rieur, précieux, entre les êtres humains.
La complicité se tricote en tandem, une maille après l’autre
ll existe des complicités plus naturelles. L’amitié est souvent complice parce qu’elle repose sur le libre choix, sur des rapports d’égal à égal où l’on ne se juge pas, où l’on ne se préjuge pas. La relation grand-parent/petits-enfants favorise aussi la complicité pour la simple raison qu’elle s’articule autour du principe de plaisir. Quand elle était petite, parfois, ma petite-fille me téléphonait et chuchotait : « Mamie , il faudrait que tu parles à ta fille… Elle est bien fatiguée. Puis, quand elle est bien fatiguée, elle est bien fatigante… »
Dans un contexte d’intimité amoureuse, la complicité se tricote en tandem, une maille après l’autre. Elle est un formidable ingrédient érotique. Elle ne va pas de soi et a besoin de temps pour s’établir. Les auberges et centre de villégiature ont bien compris sa valeur en offrant des « forfaits complicité » destinés aux couples et aux familles. En vendant la complicité, on promet l’entente, la collusion et l’harmonie sans effort. Le client ciblé se laisse convaincre qu’il lui faut sortir du quotidien, de la maison et de la routine pour trouver ou retrouver la complicité rêvée.
Quand, dans un couple, les protagonistes perdent de vue la raison première qui les a réunis, à savoir le partage du plaisir, la complicité s’éclipse. Les premières fois, elle file en douce un court moment. Elle fugue, puis revient. Mais un beau jour, si on ne la nourrit pas, elle quitte pour de bon. Les couples dont la relation se transforme au fil des ans, en tâches et devoirs à accomplir, ont perdu trace de leur complicité. Pour le maintien du lien érotique et amoureux, elle est vitale.
On sent la complicité quand on se comprend d’un coup d’oeil. Lorsque circule entre les êtres, quelque chose qu'ils sont les seuls à percevoir.
Ma blonde est si talentueuse dans l’art de fabriquer de la complicité qu’elle a transformé sa jalousie en ingrédient érotique. Elle me reprochait toujours de regarder les femmes aux gros seins. Moi, pour la faire rire, je rétorquais que c’étaient les gros seins des femmes qui m’aveuglaient et non pas les femmes aux gros seins! Malgré mes traits d’humour, elle se fâchait et on finissait toujours par s’engueuler solide. Un jour, la coquine a radicalement changé. Elle s’est mise à me montrer les femmes aux gros seins, ou plutôt, les gros seins des femmes, avant même que je ne les aie aperçus, à commenter lascivement leur allure, leur fermeté, leur beauté, leur forme, leur texture… Résultat : elle me piège car je deviens si troublé par ses paroles et par sa sensualité à elle que j’en oublie complètement les nichons troublants de l'inconnue… Non seulement on ne s’engueule plus à cause de mon faible pour les poitrines féminines mais ces moments soudent notre connivence. On finit toujours par rire et par avoir une folle envie de se retrouver au lit. Pascal, 42 ans
La complicité fuit les rapports d’autorité.
Voilà pourquoi elle est absente des schémas où une personne est en situations de pouvoir sur une autre.
Un souvenir personnel. J’étais adolescente. Une période de ma vie au cours de laquelle mon père et moi on ne se parlait que pour s’engueuler. Je l’accompagnais néanmoins à la pêche régulièrement. Mon prétexte : c’était le seul endroit où je pouvais me faire rôtir au soleil, dans la chaloupe, pendant des heures… Durant ces longues journées muettes (omerta du pêcheur oblige) à appâter les bestioles sur les hameçons, je sentais que mon père était fier de moi, sa fille, qui n’avait pas peur d’éventrer des vers de terre. D'un signe diffus de ma part, il comprenait que je voulais me baigner et jetait l'ancre. Nous mangions nos sandwichs en silence et puis, ce sourire de béatitude quand ça mordait, lui qui souriait si rarement… Purs et impérissables moments de complicité. Le soir, je racontais aux copines que je m'étais faite suer avec mon vieux toute la journée alors qu'en réalité, j'avais baigné dans un bonheur complice et mon estime de moi avait gonflé les voiles .
Bien plus tard, après des années de travail auprès des adolescents, j'ai pris conscience que je parlais souvent d’une complicité bien établie entre eux et moi. Qu'est-ce qui me permettait d’affirmer cette qualité de lien? Le temps que nous nous sommes consacré, le partage de confidences et de choses qui nous étaient précieuses et qui nous touchaient et enfin, l’aspect émotionnel et confiant du lien.
C'est comme s'il y avait, entre des personnes complices, une courroie de transmission qui leur soit propre. Une manière de se comprendre puis de se solidariser face aux tiers. Être complices ne signifie pas être le confident ou l’ami indéfectible. Un père n’est pas complice avec son fils parce qu’il fume un joint avec lui, ni une mère avec sa fille parce qu’elles portent les mêmes vêtements. Utiliser le langage adolescent ou dormir avec son enfant ne créent pas, non plus, la complicité.
Routine et répétition ne sont pas que fauteuses de troubles et semeuses d'ennui!
Comment se crée la complicité? Par la répétition de moments en trois temps: a) la présence et la disponibilité à l’autre b) le contact et la relation) c) l'émotion et le jeu. Comme quoi, routine et répétiion ne sont pas que fauteuses de troubles et semeuses d'ennui!
Et ce qui est plus formidable encore c'est que la complicité, plus que toute autre qualité ou vertu relationnelle, crée de l'attachement, génère la solidarité dont nous avons tant besoin dans les épreuves et épisodes plus difficiles.
C'est mon premier billet de 2012. Je vous souhaite une année toute tissée de complicité. De solidarité. Je souhaite que ce blogue soit une plateforme d'échanges complices!