Le Plus Nouvel Obs a publié une version de ce billet
Changer de vie, changer d’homme, changer d’amour, je veux bien. Mais changer de nom, la seule chose qui nous enracine, qui nous construit, qui nous identifie, du début à la fin : jamais.
Cette réflexion sur le nom des femmes m’est revenue en tête, et en force, cette semaine, en lisant, ici et là sur Valérie Trierweiler, la nouvelle première dame française. Chaque fois que je viens en France, j’ai le choc. Nom de Dieu, les femmes françaises vont-elles finir par avoir un nom propre ? Dame Trierweiler, Dame Hollande ou Valérie Massonneau : qui est la vraie ?
On appelle la nouvelle première dame de France, Valérie Trierweiler. Trierweiler, c’est son nom usuel. Son nom à elle, son vrai nom, son seul nom légitime, que personne ne connaît est Massonneau. Je ne sais d’elle que ce que j’ai vu dans les médias. Je la trouve sympathique. Journaliste, elle vient d’un milieu modeste. 5e d’une corbeille de six enfants, père invalide de guerre, mère ouvreuse. Elle dit vouloir garder son indépendance en continuant, depuis l’Élysée, de travailler comme journaliste. Bravo.
Bravo oui, mais… mais un instant. Elle parle d’autonomie, d’indépendance, d’égalité féminine et s’appelle Trierweiler. Elle porte le nom de l’homme dont elle s'est séparée il y a plusieurs années, son ex-mari ! Grosse question de différences culturelles sans doute: la Québécoise que je suis est flabergastée!
Au pays de Simone de Beauvoir…
Peut-on imaginer autant d’antinomie? Et attendez, cela n’est pas tout, les Français se demandent quand, et si, elle deviendra Madame Hollande, ce qui, selon plusieurs, légitimerait son titre de première Dame. Qu’on me pince. Je ne comprends rien à ces us et coutumes françaises, poussiéreuses et archaïques. Comment peut-on, au pays de Simone de Beauvoir, non seulement aliéner son nom en épousant un homme, mais conserver, une fois divorcée le nom de l’ex. Cela dépasse tout entendement.
« Ce ne sont que des mots », me disent des amies, françaises et féministes, qui portent, elles aussi, le nom de leur chéri ou de leur ex chéri. Et de justifier, «c’est pour avoir le même nom que nos enfants ». Ce sont souvent les mêmes d’ailleurs qui défendent le bien fondé de la dérisoire appellation Mademoiselle. Non seulement je connais des femmes françaises qui portent le nom d’un ex mari qu’elles ne peuvent pas blairer mais certaines prennent le nom du conjoint avec lequel elles vivent en union libre pour avoir l’air de l’être, mariée ! Si cela n’est pas de l’asservissement, si inconscient puisse-t-il être, je me demande bien ce que c’est !
Peut-on être un être humain à part entière, libre et digne en choisissant de renier son nom, en usurpant celui d’un autre? Et pourquoi donc? Pour se donner une existence en plus? Pour se donner de la valeur? Parce qu’on aime être reconnue comme la chose d’untel? Le pire, l'expression « nom de jeune fille » est, me dit-on, reconnue ici en France comme étant source de sexisme. Évidemment que cela est sexiste puisque n’existe pas le « nom de jeune homme ». Cela dit, il est encore bien plus sexiste de se faire croire que le nom de « femme mariée» est moins sexiste alors que le mariage n’a AUCUNE incidence légale sur le nom des époux et qu’il n’est qu’une coutume confirmant un phallocentrisme millénaire : l’appropriation de la femme par l’homme avec le mariage.
La réalité
En France
La personne, femme ou homme, n’a qu’un nom officiel qu’elle conserve jusqu’à la mort. Les actes officiels sont obligatoirement effectués sous le vrai nom (de naissance). Certaines administrations françaises procèdent systématiquement au changement de nom de la femme après le mariage, alors que la législation ne leur octroie pas ce pouvoir. Légalement, le mariage n'est pas une raison admissible pour un tel changement. Bon nombre d'hommes et de femmes prennent cet usage pour une obligation. C’est en raison de cet usage, qu’encore aujourd'hui, le langage courant utilise « nom de jeune fille » pour désigner le nom de naissance d'une femme mariée.
En Belgique
En Belgique, l'usage est, ou a été, similaire à celui de la France. Là non plus, le nom d'épouse n'a pas la moindre existence administrative. Tout document administratif insiste sur l'usage exclusif du nom « de jeune fille ».
Au Québec
Depuis l'adoption d'une loi pour promouvoir l'égalité des sexes suivant la Charte des droits et libertés de la personne (de la personne oui, et non de l’homme) de 1976, aucun changement ne peut être fait au nom d'une personne sans l'autorisation du Registre de l'état civil. Le mariage n'étant pas une raison admissible pour un tel changement, les femmes conservent leur nom. Quant aux enfants, ils portent soit le nom du père, soit celui de la mère, soit les deux noms (le plus fréquent).
Dans les pays de Common Law
En Angleterre et dans d'autres pays de common law, les femmes mariées prennent le nom de leur mari sans procédure juridique spécifique. Là encore elles suivent le troupeau puisque ce nom d’alliance n’est que nom d'usage qui n'efface pas le nom naissance, considéré comme le seul « véritable ».
Juridiquement, partout dans le monde, le nom légal d’une personne est le nom reçu à la naissance. Tout le reste est folklore, habitude bien ancrée et… asservissement inconscient.
Quant à l’argument de l’engagement affectif
Quant à l'argument de l'engagement affectif pour justifier d'adopter le nom du bien-aimé, il est nul et lui aussi sexiste puisqu'unilatéral. Une coutume égalitaire et sympathique commanderait que femme et homme ajoutent le nom de l’autre au sien. Reprenons l’exemple de François et Valérie. Un témoignage public de leur alliance affective ferait de François Hollande, François Hollande-Massonneau et de Valérie Massonneau, Valérie Massonneau-Hollande. Cela ne changeant que dalle à leur nom légal respectif officiel: François Hollande et Valérie Massonneau.
On ne me fera pas croire qu’on puisse changer de nom comme on change de chemise (ou de mari) une fois, deux fois ou trois fois dans sa vie sans que cela n’ait d’impact identitaire !
On ne peut pas être un être humain égal, en sexe et en droit, et du même souffle usurper le nom d’un autre pour se donner de la valeur… Un peu comme le zéro reçoit la sienne du chiffre qui le précède.
P.s.: Je sais bien qu'il y a des exceptions. La plupart du temps, des femmes qui se sont fait un nom avant de se marier.