jocelyne robert

Dans la première partie de ce papier, nous avons vu que les critères de beauté nous dépersonnalisent et nous aplatissent.

Je ne vous apprends donc rien en disant que nous sommes asservis à des exigences socio-culturelles de beauté et  que nous assistons, depuis quelques décennies, à une modification normative des traits humains qui n’a pas son précédent historique.

Sur toute la planète, on glisse vers l’uniformisation. Un nouveau visage "parfait", appelé le « new new face », né des recherches des chirurgiens esthétiques, serait le symbole de l’idéal absolu.

Des spécialistes de l'esthétique expliquent les subtilités de la reconstruction de la beauté en termes de recherches scientifiques : angularité des différentes parties, architecture globale, teint, courbes des traits… le visage devient un jeu de construction.
 Voilà que l’on sculpte dans la chair humaine comme on l’a fait dans la pierre du Mont Rushmore où surgissent les visages des présidents états-uniens. On aurait taillé dans celui de Madonna pour lui donner une forme idéale, celle d’un cœur.

Les actrices de cinéma commencent à se ressembler toutes, disent les réalisateurs. Les visages hollywoodiens ont l'ovale parfait, des bouches farcies qui font des moues de bébé, des fronts sans faux pli. Des visages astiqués, presque jumeaux, se côtoient à Cannes. Et on nous convainc que là, et là seulement, réside "LA" beauté.

Quand j’entends les fans s’ébaubir devant telle vieille diva toute rafistolée: "Qu’est-ce qu’elle est belle encore!", je ne peux m’empêcher de penser qu’elle serait peut-être bien plus resplendissante si elle s’était moins allongée sur le billard. Je crois profondément que c’est l’énergie, la vitalité, le plaisir de vivre et de travailler de ces femmes qui les illuminent, bien plus que les transformations chirurgicales subies. 

C'est le règne d'une féminomanie unique: bouche repulpée et lèvres ourlées jusque sous les naseaux, front lissé, pommettes haut perchées, nichons grosses pommes 36 D, cul bien bombé sur bassin étroit, cuisses fuselées, ventre liposucé, taille de guêpe, ongles d’acrylique, anus blanchi, vulve glabre, tunnel mirifique serré, clito au garde-à-vous … Voilà le corps visé, le corps rêvé, le corps irréel, irréaliste et emblématique. Un corps si dépersonnalisé qu’on se demande parfois s’il y a quelqu’un à l’intérieur! Une chose qu’on tripote et triture, qu’on offre en pâture, qu’on dissèque, autopsie, sculpte, rénove, décolore ou colore, qu’on passe au laser ou qu’on épile, qu’on prive de nourriture ou qu’on fait vomir, qu’on gave de substances amaigrissantes ou « musclantes ». Un corps qu’on fait bien suer! On le met à sa main. Ou plutôt à la main de la gouvernance esthétique.

Portées par l’illusion du pouvoir que la « beauté » inocule, on se soumet. On s’offusque ensuite que nos ados se tatouent, se scarifient, se fassent du " cutting". Est-il vraiment plus séduisant en bout de ligne ce corps? Nous rend-il plus heureuse? Vous pensez que j’exagère? Faites l’exercice suivant : Rendez vous dans n’importe quel lieu où se regroupent des femmes vieillissantes et amusez-vous à dépister celles que vous trouvez séduisantes. Vérifiez ensuite si ces personnes se sont soumises au bistouri enjoliveur. Je suis prête à parier que celles que vous jugerez les plus belles ne sont pas celles qui ont été les plus rénovées.

Nous avons tendance à l’oublier : non seulement nous avons un corps, nous sommes ce corps. Quel sentiment identificatoire peut nous inspirer un corps qui n’a plus rien à voir avec le moi d’origine? L’anatomie, le corps, la perception de soi tissent une organisation complexe. Certaines zones cérébrales, en particulier l’amygdale et l’hippocampe sont cruciales quant à notre perception de nous-mêmes et quant à l’encodage des souvenirs. Grâce à ces petites structures, notre passé et notre histoire sont cryptés un peu partout dans notre corps, dans toutes nos cellules, incluant celles de notre peau. Nous sommes cette peau qui nous enveloppe.

Et puis, quelqu’un peut-il m’expliquer pourquoi les stars font des crises de nerfs lorsqu’une autre porte une robe identique à la leur lors d’un gala alors qu’elles paradent avec des seins, nez, babines, pommettes ou fesses griffés du même chirurgien? 

Ce billet a d'abord été publié le 23 juillet 2012 dans le Huffington Post Québec

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17 commentaires

  • Commentaire de Stéphanie ..... — 13 août 2013 à 3 h 09 min

    Je suis laide ! ? … Ou l’aide peut-être ? ! …
    Oui ! C’est cela ! Je suis l’aide de sa vie …
    Je lui dit :  » Tu es belle ! Je suis laide . Alors pourquoi m’aimes tu ? « ……..
    Alors elle me dit :  » Non ! tu es belle ! Et c’est moi qui suis laide , alors pourquoi m’aimes tu ? « ……..
    Je suis L’aide ! Oui c’est cela au fond ….
    L’aide jusqu’à la beauté . Pour elle ….

  • Commentaire de Renée — 28 juillet 2012 à 12 h 18 min

    Cette figurine de « La Vénus aux tiroirs » est remarquable.Merci JR. Je constate que le thème est infini. Je montrais la Vénus aux tiroirs grandeur nature, datant de 1936 ou 1939, j’ai oublié. Dali expliquait que les tiroirs font allusion à l’inconscient et par extension au psychosomatique. On peut aussi comprendre que la sculpture originale de la Vénus de Milo était enfin contrariée par celles de Dali. Contrariée de sa beauté calculée ayant voulant répondre à l’harmonie du corps humain, celle de ses proportions idéales.

  • Commentaire de Jocelyne Robert — 28 juillet 2012 à 11 h 12 min

    Fou… J'avais vu toutes sortes de figurines des "femmes aux tiroirs" de Dali,  au musée Figueras en Espagne. Elles me sont restées en mémoire.

    J'en avais acheté une.  Souvent, quand je fais des listes, que je classe mes idées ou que j'organise un certain clivage entre mes différentes spères d'activité, je la regarde ..  . http://cerisemarithe.files.wordpress.com/2010/01/6a0123ddf1a401860d0123f19ac830860f.jpg

     

     
  • Commentaire de Renée — 28 juillet 2012 à 11 h 00 min

    Le RQASF. Bonne initiative, mission difficile pleine de bonne volonté, pour une saine apparence.
    Je reviendrai au blogue plus longuement. J’ai été étonnée de voir cette sculpture de Dali, « La femme aux tiroirs », laquelle je montrais à mes étudiants dans le cadre de « Mode et société ».
    Certains passages de mon blogue rejoignent cet intérêt sur le sujet.

    http://www.renee-youkali.blogspot.ca/

    22déc 2009: Femmes à la fenêtre …et plus
    2 fév 2010: Sexualité humaine à l’heure du web
    25 fév 2010: Le corps des hommes, les yeux des femmes
    14 mars 2011: Les chocs du passé
    10 mai 2011: Iconoclasme

    Bonne collaboration, RQASF, le site de JR et nos initiatives personnelles

  • Commentaire de Jocelyne Robert — 27 juillet 2012 à 10 h 30 min

    Je vous en prie Lise .  Merci à vous et à votre organisation d’abattre un formidable boulot!

  • Commentaire de Lise Goulet — 27 juillet 2012 à 10 h 16 min

    Merci Madame Robert pour votre précieux travail de sensibilisation. Le Réseau québécois d’action pour la santé des femmes (RQASF) travaille depuis de nombreuses années sur la problématique de l’image corporelle des femmes. La quête d’un modèle de beauté irréaliste suscite une angoisse qui ne fait que s’amplifier avec le temps, et qui peut entraîner de sérieux problèmes sociaux et de santé. Des jeunes, des adultes, toutes générations confondues, sont maintenant conditionnées à être d’avides consommatrices de régimes alimentaires et d’interventions esthétiques en tous genres, avec les conséquences sérieuses sinon dramatiques qui peuvent en résulter pour la santé.Fort heureusement, les choses changent tranquillement. Depuis quelques années, le RQASF travaille avec les écoles de mode du Québec et quelques acteurs clés de l’industrie pour poursuivre son travail de sensibilisation. Les personnes intéressées par la question peuvent nous suivre sur le blogue Pour une mode en santé http://rqasf.qc.ca/blogue/ , consulter notre micro site Une intervention esthétique, c’est pas banal ! au http://rqasf.qc.ca/esthetique/index.html . Bref, il y a tant à faire. Encore une fois merci pour votre travail de réflexion !

  • Commentaire de Jocelyne Robert — 27 juillet 2012 à 9 h 59 min

    Me semble très intéressant. Je connaissais pas, malgré édtion originale datant de 1984… Merci beaucoup Renée!!!

     

  • Commentaire de Renée — 27 juillet 2012 à 7 h 32 min

    http://books.google.fr/books/about/Le_corps_f%C3%A9minin.html?hl=fr&id=KkOBAAAAMAAJ

    Le travail des apparences, Philippe Perrot

  • Commentaire de Jocelyne Robert — 26 juillet 2012 à 20 h 31 min

    Merci Renée. Le titre? Vous avez images ou liens? Page couverture?

  • Commentaire de Renée — 26 juillet 2012 à 19 h 56 min

    Le travail des apparences existe depuis longtemps.

    Seuil, 1991-02-02 – 280 pages
     » A coup sûr, le livre mérite de figurer sur la liste des plus brillants travaux consacrés récemment à l’histoire de la culture somatique et de la psychologie sociale.  » Alain Corbin, Les Annales ESC  » Voici un marathon impressionnant ; Philippe Perrot a décidé de traverser sur deux siècles les apparences du corps féminin (XVIIIème-XIXème siècle). Il le fait avec brio.  » Arlette Farge, Le Matin  » Son point de vue n’est pas d’un moraliste, mais d’un historien nouvelle manière, qui prête au monde du symbolique autant d’attention qu’au réel. (…) Une masse affolante d’informations (…) d’une lecture délectable.  » Yves Harsant, L’Express  » Il n’est pas si fréquent qu’un essai historique, en même temps que savant, se montre brillant et même sensuel. C’est pourtant le cas de l’ouvrage de Philippe Perrot.  » L’Histoire  » L’un de nos meilleurs historiens de la mode et des apparences.  » Jean

  • Commentaire de Jocelyne Robert — 25 juillet 2012 à 9 h 52 min

     Bien sûr que ça va + loin que la beauté. Ça touche toute l’idée de chosification: du corps, de l’être humain…

  • Commentaire de Diane Duval — 25 juillet 2012 à 9 h 46 min

    bon matin Jocelyne,
    vous dites: Sur toute la planète, on glisse vers l’uniformisation. Deviendrait-on des robots? La beauté n’est pas un tissus sans tache, la beauté n’est pas une ligne de montage où les femmes sont suspendues et soumises à la reproduction d’un patron de mêmes formes de mêmes couleurs, en fait d’un modèle unique, ça fait peur ce que vous écrivez, car ça va plus loin que la beauté, ça touche la pensée, l’authenticité, la spontanéité, l’estime de soi! Dans ma tête, je refuse d’être belle si c’est pour être comme ma voisine, ma coiffeuse, ma soeur, la soeur de mon amie e.t.c. J’essaie par contre de mettre en valeur ce qu’il y a de beau chez moi, et cette recherche est basée sur la pensée que j’aie de moi-même et non sur ce qui vient d’ailleurs ou des autres. Mais je dois me confesser en souhaitant parfois par exemple avoir votre beauté Jocelyne, mais ce n’est que passager! Car je suis moi-même une femme ayant quelque chose d’unique à offrir, mon sourire, ma joie de vivre, ma facilité de relation avec l’autre, mon énergie, ma curiosité; beaucoup de petites choses à améliorer mais c’est à moi seule de trouver lesquelles. Ma vie vient de qui je suis: Moi. Pour ce qui est de la beauté qu’on recherche chez l’homme: J’aimerais bien qu’il soit un jour un sujet sur votre blogue Jocelyne, merci.

  • Commentaire de Rénald Joyal — 25 juillet 2012 à 9 h 34 min

    Comme dirait ma mère : À pas d’ mérite à s’pas s’maquiller , è belle naturel………….. Et une petite pensée pour notre ami franz.

  • Commentaire de franz — 25 juillet 2012 à 8 h 30 min

    Il y a quelques années, les chirurgies esthétiques étaient réservées aux riches américaines ou aux actrice hollivoodiennes, ces dernières faisant de leurs corps leur marque de commerce. Certaines acrices comme Bree dans la série  » Beautés désespérées  » (Despairated Housewives) sont tellement réétirées et remodelées qu’elles ont des figures et des corps qui n’ont plus d’âge et qui ne ressemblent plus à rien. Aujourd’hui cette mode de devenir une sculpture vivante est à la portée de la majorité des bourses et beaucoup ne s’en privent pas.

    Voilà ! il s’agit de la l’idéal de la femme-objet, taillable, modifiable et peinturable à l’excès. Ces personnes se considèrent comme des objets. Ce qui me fait rugir, ce sont moins les chirurgies qui sauf, pour les cas extrêmes ou les échecs, peuvent encore passer inaperçues, mais ce sont surtout les personnes outrageusement tatouées. À les voir, on dirait des couleuvres ambulantes ou des lézards multicolores. Quelle horreur ! Ces dessins sont en très grande majorité grossiers et sans aucun art. Des tags quoi ! Et ce sont des appels à être traité(e)s en objet. Déjà, le tatouage était surtout l’apanage et la marque distinctive des ex-prisonniers, aujourd’hui, il est partout. J’ai des préjugés, mais moi, comme employeur, je n’employerais pas des tatoué(e)s, comme locateur, je ne leur louerais rien.

  • Commentaire de Jocelyne Robert — 25 juillet 2012 à 8 h 34 min

    😉 À dire vrai, je passe l’été sans maquillage. Ou presque… 

     

  • Commentaire de Rénald Joyal — 25 juillet 2012 à 5 h 51 min

    Christine St-Pierre ,ministre de la condition féminine et sa réaction sur la journée sans maquillage , voilà une personne irresponsable qui a répondue à votre questionnement .
    P/S: Avez-vous passé cette journée sans maquillage ? Sans malice , nous vous adorons . Bon été

  • Ping de Fini les femmes aux mille visages? - Jocelyne Robert — 24 juillet 2012 à 9 h 13 min

    […] (suite) […]

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