"Le crime passionnel n'existe pas. "
" Il est commis dans un contexte sexiste par des hommes incapables de faire le deuil d’une relation pathologiquement fusionnelle. »
Si c’était moi qui disais cela, je me ferais ramasser. Mais non, c’est Gérard Lopez , psychiatre et expert pour la Cour d’appel de Paris qui l’affirme (Cerveau &Psycho oct 2010)
On parle beaucoup de drames passionnels. Lorsque je travaillais auprès de femmes victimes de violence conjugale, il m'arrivait souvent d'entendre, côté cour ou jardin: « C’est une histoire passionnelle ». J'avais alors le sentiment que cet énoncé banalisait la situation, que le « passionnel » expliquait tout, lavait l'horreur, cautionnait l’impuissance. J'éprouvais la désagréable impression qu’on voulait me faire avaler l’idée qu’un homme passionné n’est pas maître des ses passions et qu’il faut, en cas de contrariétés, de jalousies morbides, d’excès de passions, comprendre qu’il perde les pédales…
En 1872, un clin d’œil dans l’histoire, Alexandre Dumas fils défend farouchement un homme qui a surpris sa femme en flagrant délit d'adultère : « Tue-la ! » exulte-t-il. Il se ressaisit plus tard, questionne le rôle social dévolu aux femmes et accable une société où les lois sont faites par des hommes pour des hommes. Voltaire avant lui s’était demandé si ce ne sont pas les cocus qui ont fait les lois.
Le drame passionnel passionne
Gérard Lopez suppose que médias, policiers et jurés, se passionnent encore aujourd’hui pour les crimes passionnels et qu'ils auraient tendance à s'identifier au criminel. Après tout, qui n’a pas connu les affres du rejet amoureux et éprouvé les terribles émotions de la colère?
Attention. Personne ne nie qu’un certains nombre d’auteurs de crimes puissent présenter des troubles plus ou moins graves de la personnalité tel la perversion narcissique qui empêche de « bien »aimer son prochain et sa prochaine comme soi-même. Mais il semble que « durant les procès, l’image romantique de l’amour éternel impressionne les jurés ». Attendrie à sont tour par cette image de l’amour éternel bafoué, la société en remettra en trouvant au " criminel passionnel" des excuses qui, ma foi, commencent à en exaspérer plus d’un et plus d’une.
Faut-il redire que le « crime passionnel » n’est pas un crime d’amour, l’amour ne pouvant se concevoir que dans la liberté et le respect.
Et si le « crime passionnel » était un crime sexiste…
Malgré que dans la vaste majorité des cas , les criminels ne présentent pas de trouble psychiatrique, on continue donc généralement de considérer la violence passionnelle comme le résultat de désordres psychopathologiques.
Et ce faisant, on occulte la problématique sociale. Évidemment, on peut difficilement juger un criminel fou et du même souffle remettre en cause les modèles sociaux qui perpétuent et valorisent la violence sexiste, voie royale à la violence sexuelle relationnelle. On appose l’étiquette « crime passionnel » et, à moins qu’elle soit une star, le nom de la victime de cette « brutalité amoureuse » est vite oublié. Plus souvent qu’autrement, il s’agit encore pourtant d’une énième histoire de violence faite aux femmes, évacuée impudiquement, diluée dans une épaisse soupe passionnelle. La bien-pensance se vautre dans l’épiphénoménologie.
Le « criminel passionnel » aura trouvé, dans les stéréotypes sociaux, dans les clichés sexuels culturels et dans le sexisme ordinaire, la loi du plus fort et la valorisation sociale de la masculinité voire de la virilomanie.
Plus les faits sont ignobles, plus ils sont d'une férocité sans nom, et plus la victime est effacée. On a parlé bien plus de la souffrance, de la peine, de la rédemption de Bertrand Cantat, que de Marie Trintignant.
Ce que les médias, journalistes et experts appellent "drame passionnel" suscite dans un premier temps une sympathie aigüe et verticale pour la victime. Verticale parce qu’elle s’élève promptement puis s’évanouit. Normal, la victime ne fait plus partie du paysage médiatique puisqu’elle n’est plus. Son bourreau lui, celui qui lui a infligé la mort, il a un nom, un prénom, un visage, des larmes, une douleur qui finissent par inspirer une sympathie qui n’en finit plus de s’étirer, dans un temps qui se décline à l’horizontal.
Les « drames passionnels » devraient interpeler nos décideurs sur les violences que les femmes subissent : éducation sexiste dès l’enfance, discrimination, machisme, misogynie, inégalités de tous acabits, autres violences socioculturelles, sexuelles et sexistes, régressions quant à la liberté de disposer de leur corps…
Forçons-les à nous répondre et à s’engager. Là, maintenant.
Question de déontologie, peut-on aussi demander aux journalistes et acteurs médiatiques de s’interroger, de réfléchir sur les dénominations et qualifications inappropriées qu’ils utilisent pour traiter de ces violences ?
En bref selon Le DR Lopez
– Celui qui commet un « crime passionnel » n’a généralement pas d’histoire de trouble psychiatrique
– Il présente souvent des troubles de la personnalité (instable, immature, impulsif, imprévisible …)
– Lopez le qualifie de « vampire domestique » – il se nourrit de l’autre ; en a besoin pour survivre
– Il ne supporte pas l’idée d’une séparation (entre le meurtre et suicide, il opte plus souvent pour le meurtre et rate ensuite son suicide )
Une version de ce billet a été publiée sur le Huffington Post Québec