Une première version de ce billet a d'abord été publiée dans le Huffington Post Québec
J’ai rencontré le Dr Henry Morgentaler à quelques reprises.
À sa clinique de la rue Honoré Beaugrand, dans l’est de Montréal, dans les années 80. Dans des manifestations pro libre choix aussi. Puis ailleurs, je ne sais plus, lancement de livre peut-être…
Il y avait dans sa voix, dans son regard, quelque chose d’apaisant. De l’aplomb. Du souffle. Du désespoir surmonté. La détermination et la sérénité de celui qui croit en ce qu’il fait et qu’on n’ébranle pas aisément.
Il m’a dédicacé, très chaleureusement, un des ces livres. J’en ai fait autant avec quelques-uns des miens par l’entremise de ma grande amie et collègue Mariette, qui a travaillé avec lui à Montréal durant de nombreuses années.
Par delà ce qu’on pouvait entendre dire de lui, dans les médias, sur les tribunes publiques, j’ai entendu bien des confidences, de nature privée, le concernant. Toujours élogieuses.
Les personnes qui travaillaient avec lui, surtout des femmes, médecins, infirmières, sexologues, l’admiraient et le respectaient.
Il était, j’en ai toujours été convaincue, un grand, très grand humaniste. Un homme d’une rare valeur, un être « humain » dans toute la splendeur du terme. Une personne courageuse dans toute la force du mot courage.
Il parlait de la profonde influence que ses parents, disparus dans les camps nazis, avaient eu sur sa vie : ceux-ci lui avaient légué des valeurs de recherche de dignité : humaine, individuelle, collective et universelle. Dans un livre autobiographique, il évoque l’idée que c’est parce qu’il n’a pas pu sauver sa mère à Auschwitz qu’il a consacré sa vie à aider toutes les autres femmes, ces mères potentielles…
Il avait été choqué, révolté, en arrivant au Canada de rencontrer autant de femmes blessées, mutilées par des avortements clandestins. Au point de consacrer sa vie à les combattre.
Il détestait, avec raison, qu’on le traite d’avorteur, appellation utilisée avec mépris par ses détracteurs et par les opposants au libre choix. C’est d’ailleurs en tant qu’apôtre du libre choix qu’il devint dès 1967, le porte-étendard de la lutte des femmes pour le droit à l'avortement libre. Malgré toutes les embûches juridiques, les menaces, les attentats, les manifestations de violence à son égard, l’emprisonnement, il est resté debout, fidèle à ses engagements.
Henry Morgentaler s’est réclamé d’un humanisme scientifique, une philosophie fondée sur l'amour du prochain et sur la croyance en cette « dignité humaine » qui revenait si souvent dans ses propos et dont il témoignait. Pour lui, l'être humain est responsable, individuellement et collectivement, du sort de l'humanité.
Il s’est battu ans relâche pour que les IVG (interruption volontaire de grossesse) pratiquées en clinique privée soient remboursées aux femmes, au même titre que celles pratiquées en milieu hospitalier où l’attente était souvent très longue et le support psychosexologique déficient.
Pour cela, il s’était tourné à l’époque, vers la ministre de la santé, Pauline Marois, afin que le régime d'assurance maladie du Québec couvre, non seulement les frais liés à cet acte médical, mais aussi le suivi psychosexologique, l'échographie, les médicaments antidouleur…
C’est en grande partie grâce à son combat que la Cour suprême a décriminalisé l'avortement. Dans cet arrêt de toute beauté, rendu le 28 janvier 1988, les juges estimèrent que l'article 251 du Code pénal violait la Charte canadienne des droits et libertés parce qu'elle portait atteinte au droit d'une femme à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne.
« Forcer une femme, sous la menace d'une sanction criminelle, à mener le fœtus à terme, à moins qu'elle ne remplisse certains critères indépendants de ses propres priorités et aspirations, est une ingérence profonde à l'égard de son corps et donc une atteinte à la sécurité de sa personne. »
Je crois que les femmes, toutes les femmes, et les hommes, tous les hommes qui aiment les femmes, lui doivent une fière chandelle.
Puisse le départ du Dr Morgentaler, et le silence du bureau du premier ministre Harper à cet égard, nous rappeler d’être d’une vigilance sans relâche.
Merci Henry Morgentaler !