Hier, samedi 22 juin, 18h50. La très belle salle du Théâtre de l’Atelier brille de tous ses feux et sue à grosses gouttes. À dix minutes du début du spectacle, du parterre aux balcons, ça geint : la chaleur est insupportable ! Dieu sait que pour râler, le Français sait y faire !
À ma droite, un couple d’amoureux, 25-27 ans peut-être. Derrière nous, des femmes. Mûres, belles. Élégantes comme des Parisiennes.
M’accompagnent, trois Français dont deux Parisiens pure laine qui ne connaissent Fred Pellerin ni d’Ève ni d’Adam.
Le conteur apparaît. Il souffle longuement dans le micro et un grand vent de fraîcheur nous enveloppe. Avec De peigne et de Misère, Fred tombe sur Paris comme la rosée du matin.
Saoulée de bonheur
D’entrée de jeux de mots, je suis saoulée de bonheur. Il s’adresse au public à la deuxième personne du singulier. Le tutoie. L’appelle Paris. Etonnamment, ça marche . Le coup au cœur est direct . Comme s’il disait: "Toi Philippe", "Toi Sandrine", "Toi l’ami". Ça marche si bien que j’oublie que je suis Québécoise. Je développe instantanément un sentiment d'appartenance. Je deviens Paris.
« Toi Paris, t’as ton euro. Nous on a notre piasse. On te respecte. Ça fait que. Nous, on a notre piasse…»
Il parvient à distiller ça et là des actualités françaises dans un spectacle pourtant bien huilé, compare son Notre-Dame-du-Cap à Lourdes où sévissent ces jours-ci de terribles inondations, laisse tomber un bémol harmonique sur la Fête de la musique ( de la veille ).
Dans la rangée derrière, les élégantes se délectent. L’une jubile, chuchote à l’autre qu’elle n’a pas été aussi séduite depuis "bien bien longtemps". Plus on avance dans le monde hallucinant de Fred Pellerin, plus le jeune couple d’amoureux à ma droite semble contaminé par la forge de Toussaint Brodeur. Je l’entends grésiller.
Le temps a filé. Au moment de se quitter, Paris a oublié la canicule des lieux et en redemande. Et Fred de lui dire : « Ok Paris. Je te fais une dernière chanson. Mais après, faudra que tu rentres à la maison.»
Sur le perron du théâtre
Sur le perron du théâtre, un drôle de mélange des genres : le Tout-Saint-Élie-de-Caxton commère avec le Tout-Paris. « Éblouissant ! » « Génial !», «Enchanteur ! » fusent discrètement. Oui oui, il arrive que les choses fusent discrètement. Quand le mystère est si impressionnant, le silence ne se laisse pas rompre aisément.
Mes trois Français sont conquis. « Je n’ai pas compris chaque mot, dit Patrick, mais c’est sans importance. Il m’a si bien amené dans ses images, que j’ai tout tout compris. »
Ensuite, au restaurant Le Bon Bock, ça parlait fort de Méo le barbier. Et à la grande table à côté, il y avait les 473 enfants de Madame Gélinas… Quel chahut !
Je ne sais trop ce que Paris a le plus aimé de Fred Pellerin : Ses talents de conteur ? De poète ? De créateur ? De musicien ? De chanteur ? De rêveur ? De phraseur ? D’humoriste ? Sa sensibilité ? Son intelligence ? Sa candeur ? Son humanitude ? Toutes ces réponses ?
Mon chéri de Français dit que c’est le talent qui lui manque —celui de comédien — qui rend Fred Pellerin si prodigieux : « Ce gars là n’est pas comédien. Il ne joue pas. Il est. Il est là. Frêle comme un chêne. Grand. Zéro arrogance. Zéro pédanterie. Et ça, ça rafraîchit vachement le Français. »
On est loin du bûcheron évadé de sa cabane au Canada
Chose certaine, Paris a compris que Fred Pellerin n’est pas un bûcheron nostalgique évadé de sa cabane au Canada. Qu’il est un elfe intemporel. Et il rentre chez lui pas mal plus joyeux qu’à son arrivée au Théâtre de l’Atelier. Ça se voit, se sent, s’entend.
Le spectacle De Peigne et de Misère va sillonner la France et le Québec au cours de la prochaine année. Sortez votre carnet de bal et réservez-vous une danse avec Méo ou Toussaint, avec Solange ou Madame Gélinas…
Sans faute .