J’ai retenu, pour les besoins de ce texte, cinq des principaux arguments des pourfendeurs du projet de Charte des valeurs québécoises. Il y en eut certes quelques autres mais ceux qui suivent sont sans cesse rabâchés.
Argument 1 : En interdisant le voile, on fait perdre leur emploi aux femmes
D’où cela vient-il ? Pourquoi donc présumer que les femmes concernées refuseront d’enlever leur foulard ?
Ceux qui martèlent cet argument misérabiliste jugeraient-ils ces femmes inaptes à comprendre et à accueillir leur plein droit de pratiquer leur religion en dehors de la sphère publique? Qui sait si elles ne seraient pas ravies de saisir la balle au bond, de s’aérer doucement le crâne et l’âme ?
Les anti-charte ne connaissent donc aucune femme qui pourrait avoir besoin, ou envie, d’un petit coup de pouce pour enlever ce qu’elles ressentent comme une chape de plomb sur leurs épaules? Moi, si.
Dans le débat qui fait rage, combien de fois j’ai eu l’impression d’être dans un épisode des Bobos, avec Étienne et Sandrine Maxou se gargarisant d’une potion de petites fleurs bleues, se délectant de l’image, que dis-je du mirage, de leur grande âme : « Voyez comme nous sommes beaux, bons et amoureux des autres cultures ! Voyez comme ces pro-charte sont laids, mauvais et ceintures fléchées ! »
Argument 2: Ce sont les femmes voilées qui sont visées
Ça, c’est la ligne-boulet. La caricature d’argument. Comme si l’état québécois et surtout Pauline Marois étaient non seulement islamophobes mais également misogynes et sexistes. Leur intention cachée : renvoyer les femmes musulmanes à la maison à servir, vénérer et torcher leurs maîtres. Non, mais pincez-moi !
Si les femmes voilées sont visées et bien, elle le sont dans la perspective du double message suivant : Ici, nous vous demandons à tous et toutes de ne pas porter de vêtement-symbole religieux. Mais, nous vous disons du même souffle que vous existez comme être humain à part entière, que nous vous respectons pour ce que vous êtes et non comme produit de votre culture d’origine.
Le port du voile, soulignons-le, n’est pas ordonné par la religion musulmane. Il revient en force, imposé par les hommes et imams qui interprètent les préceptes musulmans à leur manière et soumettent les femmes à leur credo.
Toutes les femmes musulmanes ne portent pas le voile, comme on le véhicule ici et là. Je connais personnellement deux femmes musulmanes françaises . L’une est médecin. L’autre enseignante. Elles n’ont jamais porté le voile dans l’espace public.
Enfin, faut-il rappeler que la très vaste majorité des femmes dont il est ici question, voire toutes, viennent de sociétés qui favorisent les droits du groupe au détriment de ceux de la personne.
Argument 3: Regardez la France ! Elle a raté sa laïcité.
Cet argument a été souvent brandi. Sur les médias sociaux, on m’a servi cette bouillie chaque fois que j’ai évoqué l’expérience française pour dire que les femmes n’y ont pas quitté leur emploi lorsqu’on leur a demandé d’enlever le voile dans les services publics. Cela est un fait. Connu et reconnu.
Je ne dis pas que la France est le modèle à suivre. Je dis : cessons de tout mêler. La France n’a pas raté sa laïcité, elle a raté l’intégration de ses immigrants et surtout sa décolonisation.
Chose certaine, la question du voile n’a jamais perturbé la paix sociale en France. Ce sont les catholiques intégristes qui l’ont compromise, en descendant dans la rue par millions pour s’opposer au Projet de loi Savary qui visait à créer un grand service public unifié et laïque de l’éducation nationale
Le côté cocasse de l’affaire c’est que, si la tendance se maintient, ce seront les intellectuels québécois qui joueront ce rôle, main dans la main avec les religieux d’ici, de ce côté de l’Atlantique.
Argument 4 : Cette Charte est xénophobe et raciste !
Argument facile. Et compréhensible. Compréhensible parce qu’il est ardu, intellectuellement, de défendre ce projet sans que les quelques racistes égarés se rangent derrière ses défenseurs et, par ricochet, sans que l’adversaire ne s’empresse d’envoyer paître le troupeau de xénophobes. Troupeau fantasmatique s’il en est puisque le Québec, cela est de notoriété planétaire, n’est ni xénophobe ni raciste.
La tolérance, vertu souhaitable entre toutes, est nulle si elle dérape dans une apathie patibulaire…. Que chacun fasse ce qu’il veut, Vivre et laisser vivre… et autres billevesées. Pour accueillir réellement autrui, encore faut-il établir les règles en usage dans sa propre maison. Ceci, dans la perspective précise d’ouvrir toute grande la porte à ceux et celles qui souhaiteront y vivre avec nous, en toute connaissance de leurs droits et devoirs.
Tolérance, respect et ouverture ne sont pas, faut-il le redire, des valeurs partagées par tous les peuples du monde. Constater que des cultures sont intolérantes et agressives face aux autres n’est ni xénophobe ni xénophile. C’est un fait. Et ça n’est pas un fait québécois. Observer que des cultures ne traitent pas équitablement les femmes et les hommes n’est pas un jugement de valeur. C’est un fait.
Argument 5 : Nos valeurs excluent l’exclusion
Sacré beau slogan! Sa force : suggérer que ceux celles qui défendent le projet de charte, ou même certains aspects du projet, sont forcément des crétins racistes et xénophobes, intégristes, pures laines mitées… et miteux.
Après un bref instant de déstabilisation, on se rend vite compte que la formule choc peut être reprise des deux côtés de la clôture.
Je revendique moi aussi des valeurs qui excluent l’exclusion. Ne nous racontons pas de sornettes. Dans l’échelle des "valeurs qui excluent l’exclusion", il faut établir des priorités. Pour ma part, j’ai beau être contre tous les racismes, je priorise la lutte à cette forme de « racisme » qui touche la moitié de la population du globe : la domination des femmes par les hommes. Affirmer la laïcité, c’est faire un pas vers une égalité réelle entre femmes et hommes. Un pas que nous devons faire.
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Ce projet de charte, courageux et imparfait, a été critiqué haut et fort par des Québécois auto-proclamés intellectuels ouverts, humains et accueillants, et par les Canadiens, de Harper à Mulcair, qui ne supportent pas que le Québec assume sa destinée. Les deux groupes tentant, l’un et l’autre, de tasser le projet de laïcité dans le coin droit de l’arène identitaire.
Mise de l’avant pour être discutée, cette charte est devenue pour nombre de ses détracteurs la dernière cartouche à la mode pour tirer à bout portant sur la Première Ministre Marois et sur le PQ.
C’est quand même fascinant de constater que, dans tous les pays où s’est posée la question de la laïcité, les intellectuels ont été massivement pour. Sauf ici semble-t-il, du moins jusqu’à récemment.
Je voudrais signaler en terminant, qu’en se dotant d’une charte laïque et égalitaire, notre modeste mais dynamique communauté, livre un message à la planète entière. Un message qui dit: « Ici, nous favorisons la séparation entre la religion et l’état, nous prônons l’égalité entre les hommes et les femmes. » Un message qui, sans en exagérer la portée, n’est pas insignifiant.
De nos jours, il est primordial que les voix de tous les peuples qui se reconnaissent dans des valeurs humanitaires, de respect, de laïcité et d’égalité, s’élèvent, s’unissent, transcendent les discours violents et haineux.
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Une version de ce billet a été publié dans le Huffington Post Québec du 21 septembre 2013