Triste paradigme *
La sexualité est un sujet éminemment vaste, global, politique, social, économique, philosophique et… épidermique. Voilà une question qui, tout en étant intimiste, embrasse l’univers.
La sexualité est une des composantes de l’être humain et de l’existence qui a subi de fulgurantes transformations ces dernières décennies. Elle est passée, par bonds foudroyants, tantôt évolutifs tantôt régressifs, d’une règle à son contraire.
En cinquante ans, un battement d’ailes dans l’histoire de l’humanité, nous sommes passés d’une sexualité-fléau universel à une sexualité-panacée cosmique pour aboutir, via une sexualité marchande, à un modèle sexuel d’érotisation de la violence.
Ma mère a coulé sa vie sous l’égide des F: fatalité, famille, fidélité – J’endure donc je suis. J’ai consumé ma jeunesse dans l’ère des L: liberté, libération, libertinage – Je jouis donc je suis. Ma fille s’est démenée au chapitre des C: cul, corps, cash – Je consomme donc je suis. Et ma petite-fille cherche sa place dans un univers sexuel virtuel VIP: violence, insignifiance, pornographie – Je texte et il bande donc je suis.
Au tournant du millénaire…
Au tournant du millénaire, j’écrivais [1] :
« Rigide et focalisé, nombriliste et génitaliste, le sexe règne. Il a tassé sa frangine, la sexualité, qui, dans son coin, continue d’embrasser les panoramas affectif, sensuel, émotionnel et identitaire.
Le sexe actuel est transversal. Il infiltre toutes les sphères d’activités. Faussement démocratique, il se réserve aux chairs fraîches, lustrées, épilées, liposuçées… Ses acteurs, machines distributrices de pipes et d’orgasmes clinquants, carburent aux dragées bleues. La sexualité, sa jumelle en fugue, a faim d’imaginaire, d’étonnement et d’insaisissable.
Par procuration, les fantasmes sont exaucés : le cyberbaiseur arrose à son heure; sa cyberfemelle est salope à souhait. Elle secoue, au nord d’une vulve de nymphette, des mamelles salines, de nourrice. Sa bouche, sorte de tire-sperme patenté, cacherait-elle des muqueuses tapissées de clitoris? Elle semble jouir en trayant. Lui, il remplit tous ses orifices puis la oint de sa signature éjaculatoire. On oublie que les amants de l’intersidéral sont presque toujours, dans le réel, des âmes solitaires qui n’ont pas reniflé «corps qui vive» depuis des lustres.
Désormais, pour correspondre à la fiction, des femmes se paient un resserrement vaginal et des hommes obtiennent une augmentation pénienne. Si la tendance se maintient, l’union coïtale se fera rare : le tunnel sera trop étroit pour accueillir l’engin ! »
Nous n’en sommes déjà plus là. Ou plutôt si, nous avons encore un pied dans cette gibelotte consumériste. L’autre, dans une fricassée assaisonnée de violence.
Culture du viol : La table est mise
La culture du viol est un concept établissant des liens entre la violence, le harcèlement, les agressions sexuelles avec la culture de la société où ces crimes se commettent. Elle documente et décrit un environnement social et médiatique dans lequel les violences sexuelles trouvent des justifications et des excuses pour être banalisées, ridiculisées, moquées, tolérées, voire acceptées.
Dans les scènes de sexe, sauce porno, presque invariablement, on nous fait croire que :
– Lui, est le mâle alpha qui hantait l’existence de cette Cendrillon depuis le déluge
– Elle, veut être forcée. Tous ses orifices se languissent d’être assaillis par tous les appendices du maître
– Malgré son visage grimaçant, la femme est émoustillée, en redemande, adore…
– Elle se délecte d’être dominée, avilie, asservie
– Sa jouissance culmine lorsqu’elle se fait tartiner de spermes variés en se faisant traiter de salope et « défoncer le c… »[2]
Le message livré est clair et constant : les femmes, ces cruches, soupirent d’être malmenées! Les hommes, eux, savent ce qui est bon pour elles et vont le leur montrer.
À suivre ici : http://jocelynerobert.com/2015/02/19/eros-aux-soins-intensifs-partie-2-de-4/
____________________
[1] Le sexe au troisième millénaire.
[2] Désolée pour ces mots grossiers mais il suffit de visiter la porno, ou de vous laisser visiter par elle, pour comprendre que je n’en rajoute pas
* Ce texte est tiré d’un article que j’ai écrit pour l’ouvrage collectif LE QUÉBEC à l’heure des choix, publié en 2014, ouvrage que je vous invite chaleureusement à lire
* Lecture complémentaire: Le sexe en mal d’amour