On parle beaucoup d’amour ces jours-ci. Saint-Valentin oblige. Société de consommation aussi. À l’occasion d’une conférence prononcée cette semaine à l’Institut universitaire de gériatrie de Montréal, j’ai eu envie de rappeler que l’amour est un sentiment qui appartient à tous les êtres humains, susceptible d’être éprouvé et partagé à toutes les étapes de la vie. Et de rappeler aussi, dans la foulée, que la sexualité est une dimension humaine qui prend naissance dans le monde biologique et qui s’exprime à l’infini à travers les cultures, les époques, l’histoire, les arts et les âges.
Les êtres humains vivent longtemps. Ils peuvent se passer de sexe durant des semaines, des années et même durant toute leur vie. Ils peuvent aussi être d’ardents pratiquants, sans honte et sans remord, jusqu’à la fin de leurs jours. Dans l’espèce humaine, tout le cycle de la vie est une vaste saison des amours et si cela n’était des préjugés âgistes, l’intérêt érotique s’amplifierait plutôt que de s’étioler en vieillissant. Ce qui me permet de dire cela? Plus Orphée s’approche et nous drague, plus nous devrions, en toute logique, avoir envie de fusionner. Après tout, faire l’amour n’est-il pas la meilleure façon de tirer la langue au vieillissement et à la mort? Et puis, qu’on ait 25, 50 ou 75 ans, le plaisir, librement consenti et partagé, n’est jamais disgracieux, jamais obscène, jamais anormal.
Aimer et être aimé-e, désirer et être désiré-e
Une fois déboulonnés les diktats socio-culturels réservant la sexualité aux lisses, jeunes et beaux, l’obsession de performance fait sa valise et Eros peut entrer en scène. Je connais des femmes qui ont commencé à faire l’amour la lumière allumée seulement passé cinquante ans. Et non, ça n’est pas parce qu’elles étrennaient de nouveaux seins ou un nouveau vagin. C’est parce qu’elles venaient de faire la paix avec leur corps, de considérer qu’il était, tel quel, digne d’être vu et aimé.
Avec les expériences qui se sont amalgamées les unes aux autres, la joie devient plus profonde en vieillissant. À condition de se défaire de vieux préjugés, on respectera infiniment le plaisir. On ne le verra plus comme une émotion moins noble. On pourra même être tenté de le vouvoyer.
On vieillit avec sa sexualité. On continue d’être ce qu’on a été. Le dénigrement ou la difficulté à accueillir l’expression sexuelle et érotique des personnes âgée masque nos préjugés et notre propre peur de vieillir. Pensez-y : comment peut-on étiqueter ce XXIe siècle à la fois de « planète des vieux » et de siècle full sexuel tout en claquant la porte d’Eros au nez d’un important segment de la population?
L’érotisme, c’est la vie qui applaudit la vie
Ceux qui réduisent l’être humain à une pelletée d’hormones et la sexualité à une gymnastique génitale décrètent que le sexe meurt en vieillissant. Ils disent n’importe quoi. L’intérêt sexuel se transforme et fluctue selon les épisodes chronologiques de la vie mais aussi selon une multitude d’autres facteurs : vie de couple, atomes crochus avec un partenaire disponible, permissivité ou fermeture du milieu, occasions, état de santé, image et estime de soi etc. Il ne faut jamais oublier que de nombreuses jeunes personnes éprouvent des pannes de désir malgré des hormones dans le plafond alors que des hommes et des femmes vintage sont allumés d’une fringante libido.
L’être humain est comme un sapin de Noël. Quand des yeux affectueux et « désirants » se posent sur lui, il s’illumine. J’avais à peine trente ans quand j’ai constaté cette magie de l’attraction alors que je travaillais dans un centre de « petits vieux » où on m’avait demandé de faire une cueillette d’informations sur leurs besoins affectifs, et sexuels s’il en était. Tous et toutes prenaient un sacré coup de jeune, et de santé, aussitôt qu’une relation affectueuse, accueillante s’installait. Alors, imaginez quand ils tombaient en amour, ou en désir, et que cette fougue était partagée!
La sexualité c’est comme un thème musical, avec des variations de l’expression et de l’interprétation qui, selon les épisodes et les circonstances de la vie, sont propres à chacun. À tous moments, elle peut s’emballer, s’estomper, trébucher, se taire puis… refaire surface. Patauger, fuir, bondir fougueusement, emprunter des détours inattendus… Elle se tait irrémédiablement avec la fin du dernier acte, lorsque le musicien ou la musicienne quitte la scène de la vie.
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- Ce texte a également été publié dans le Huffington Post Québec du 8 février ainsi que dans le Huffington Post France
- Pour écouter l’entrevue accordée à Paul Arcand sur ce thème, par ici -> http://www.985fm.ca/lecteur/audio/entrevue-jocelyne-robert-306153.mp3
- Cet texte est un extrait libre de mon livre Les Femmes Vintage