Une version de ce texte a été publié dans le journal Le Devoir du 1er mars 2018
Je suis inquiète. Ce que j’entends et lis dans les médias, la tendance actuelle, me portent à croire que les cours d’éducation à la sexualité risquent bien de porter surtout sur les aspects négatifs de la sexualité : agressions, homophobie, exploitation, machisme, violence, sexisme, dangers…
Un rappel. Lorsqu’on s’est mis à ne plus parler que des dangers, des risques, des maladies et du sida dans les années 1985-1990, au détriment des aspects positifs de l’expression sexuelle, on a fait peur aux jeunes. On les a dégoûtés à un point tel qu’ils n’avaient même plus envie de nous entendre en parler, plus envie de se protéger.
Ce sont les prémisses de la sexualité qui les intéressaient. Pas les méfaits, les dangers, les maladies et la mort. Ce sont les prémisses de la sexualité qui les intéressent toujours. Et c’est à la condition expresse de mettre l’accent sur l’enseignement de ces prémisses qu’on agira sur les conséquences néfastes, fâcheuses et destructives de la sexualité.
Pour qu’une éducation à la sexualité soit efficace, il faut la situer dans une perspective développementale, c’est-à-dire dans une perspective de croissance et d’enrichissement.
Il faut ensuite la situer dans un contexte culturel, social et affectif élargissant la dimension biologique.
Il faut parler des beautés de la sexualité
Il faut parler des beauté de la sexualité : la fierté d’être fille ou garçon, la connaissance de soi, l’estime de soi, l’attrait, l’émotion, la solidarité, le respect, le désir, le plaisir et le droit au plaisir, la responsabilité, la liberté, le partage, l’affection, les sentiments…
Il faut non pas se contenter de transmettre des connaissances, mais pouvoir aider l’enfant à intégrer ces informations dans sa personnalité, dans sa manière d’être, dans son fonctionnement, de sorte qu’il, elle, acquiert du pouvoir sur sa vie.
L’éducation à la sexualité ne va pas sans éducation à l’affectivité car cette dimension humaine peut illuminer l’estime de soi, comme elle peut l’appauvrir.
Il faut ancrer cet enseignement dans des valeurs humanistes
Oui, ancrer la dimension sexuelle humaine dans des valeurs humanistes et universelles transcendant les religions : respect de soi et d’autrui, égalité, responsabilité, dignité.
Hélas, l’éducation à la sexualité sera encore une fois un coup d’épée dans l’eau si elle n’est pas abordée dans sa globalité. De même qu’un enfant ne saurait se protéger des abus sexuels s’il n’a pas compris d’abord et avant tout ce qu’est une sexualité saine, nos jeunes ne sauront se prémunir contre les agressions ou se prémunir de devenir agresseurs si on ne leur a pas d’abord appris, sereinement et avec aplomb, ce que sont le consentement, l’attirance, le désir, l’égalité, la dignité, la réciprocité…
Forte de plus de trente ans d’intervention en éducation à la sexualité, et m’appuyant sur des dizaines de milliers de commentaires, de témoignages et de confidences de jeunes de tous âges, je demande au ministre de l’Éducation, monsieur Sébastien Proulx, et au législateur :
– D’inclure au menu scolaire obligatoire un vrai et complet programme d’éducation à la sexualité, à l’affectivité et à l’égalité depuis le préscolaire jusqu’à la fin du secondaire.
– De confier l’enseignement de cette matière cruciale, visant le savoir-être, à des personnes compétentes possédant la formation universitaire, les connaissances, l’aisance, l’aplomb pédagogique et l’aptitude à ne pas se laisser déstabiliser ou angoisser par des situations qui rendraient toute personne non habilitée mal à l’aise et inefficace. Ces personnes compétentes, ce sont des sexologues formé·es en éducation à l’Université du Québec à Montréal.
Je fais cette demande au nom des dizaines de milliers d’enfants et d’adolescents, ainsi que de leurs parents, souvent de bonne foi mais dépassés, que j’ai croisés sur ma route professionnelle. Aussi, au nom des enseignant·es déjà débordé·es, croulant sous le poids de leurs innombrables fonctions, qui ne demandent pas mieux que d’être relevés de cette charge supplémentaire.
Qui, à part l’école, peut rivaliser avec le modèle ambiant ?
Qui à part l’école peut rivaliser avec le modèle prédominant, lequel transmet à nos jeunes le message pervers d’une sexualité de consommation, d’objectivation et de domination ? Seul le milieu scolaire peut, en complémentarité avec la famille, accomplir ce nécessaire suivi éducatif, uniforme, accessible à tous et toutes, tout au long de la douzaine d’années de leur formation scolaire primaire et secondaire.
Il est urgent que notre société prenne ses responsabilités à ce chapitre. Pour vrai. Le retour de l’éducation à la sexualité à l’école a été réclamé depuis de nombreuses années par le biais d’innombrables pétitions et par à peu près tous les acteurs de la communauté. Il ne suffit pas de le ramener en contexte électoral. La volonté politique doit se manifester avec cohérence et doit s’incarner dans la mise en place de tous les moyens et de toutes les ressources nécessaires pour que soit opérationnalisé et mené à terme efficacement ce nécessaire programme.
Autrement, il sera encore une fois laissé à la discrétion de chaque école, improvisé, à la pièce et à la petite semaine, bâclé et inefficace.