jocelyne robert

Travailler. Travailler sur soi, sur son corps, sur son look, sur son poids… Travailler ses relations familiales, amicales, professionnelles… Travailler son lien érotique, travailler son couple… À croire que toute la vie est une vaste industrie dans laquelle on circule d’un service à l’autre. Après s’être éreinté au boulot, avoir payé les comptes, récuré la maison, organisé ses horaires, tondu la pelouse, fait les repas, le lavage et les courses, il faut maintenant bosser dans les sphères de son existence en principe dévolues à la joie. On ne jouit plus de sa vie affective et érotique: on la travaille. Pfft !… 

 

Nos sociétés consuméristes et individualistes ont réussi à nous faire croire que salut et bien-être transitent par le travail qui nous permet d'acheter des biens de consommation. L’air du temps, chargé à bloc des ions de l’efficacité, de l’aboutissement et de la prouesse ne prédispose pas à la fête. Je me souviens d’une époque où les  journées étaient éclaboussées de couleurs festives, emballées comme des paquets-cadeaux. Que de délectation dans  le slow cochon du vendredi soir, le party du samedi soir!  Que dire du privilège de manger au resto ou dans les marches de l’escalier ? De la chance d’avoir une amie à dormir ? Du baiser que l’on pratiquait comme on s’adonne à un sport ou à la prière ? Nostalgie ? Mais non, souvenirs d’une formidable sensualité.

Aujourd’hui, rien ne distingue le mardi du dimanche. La moitié du monde, travailleurs autonomes ou surchargés, besogne en pyjama, dans la baignoire, sur la cuvette des toilettes, à poil, le samedi, à Noël, sur la plage, la nuit, en mangeant, en vacances, dans l’avion, dans le bus, en baisant.  L’air du temps est à l’uniformité, à l’immédiateté et au tout permis tout le temps. Or, quand c’est toujours la fête, ça n'est plus jamais la fête. N’est-ce pas le privilège, ou une certaine rareté, qui donne de la saveur  et de la valeur? Je me souviens du dimanche comme d’un « jour-guirlande » : on se faisait beau, on portait ses plus beaux  habits, on rallongeait la table de la salle à manger pour s’y agglutiner, ouverts et disponibles au plaisir et à l’imprévu. Dans la manière qu’elle avait de servir la soupe, ma mère avait, me semblait-il, en plus de son tablier du dimanche, des bras du dimanche.

La spontanéité, l’imprévu, la fantaisie, la disponibilité sont les combustibles du sens de la fête. À trop vouloir s’instrumenter, contrôler, produire et performer pour un maximum d’efficacité, on ruine sa capacité d’imagination et de fantaisie. Une fois que le cerveau de la candeur et de la créativité s’est effondré, on aura beau lire tous les manuels de baisote en 69 positions et griller ses nuits dans des clavardoirs porno, on ne sera plus que de lamentables amants, prévisibles, jamais troublés, qui prennent leur pied sans jamais le perdre. Faire l’amour c’est jouer, se laisser impressionner et déstabiliser.

Se pourrait-il que, malgré le règne du cul mur à mur, le plaisir et la joie soient encore perçus comme des émotions suspectes et sans valeur ? J’ai bien peu de certitudes. Parmi elles, celle-ci : quand on ne sait plus s’amuser, on ne sait plus s’érotiser. Ce n’est pas un hasard si les amoureux qui se sont éloignés l’un de l’autre se rapprochent en vacances. Parce qu’ils sont plus détendus? Un peu, mais surtout parce qu’en vacances, déprogrammés et oisifs, on accède à une part d’imprévisible.

La vie est trop courte pour ne pas être fêtée.

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Publié dans : Couple, Érotisme et/ou Pornographie, Sexualité et Sexologie
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5 commentaires

  • Ping de 7e mythe sur l’amour et la sexualité: Si on aime assez l’autre, on peut le changer ! | Les Femmes Vintage - Le blogue de Jocelyne Robert — 20 juillet 2010 à 17 h 21 min

    […] Soyons clair : personne n’a le pouvoir de changer quelqu’un ni de le rendre heureux. Mais en l’aimant on peut lui donner envie d’être heureux, d’évoluer, de changer… À la condition expresse qu’il aime lui aussi suffisamment pour en avoir envie, pour juger que la santé et l’avenir du couple en valent la peine.  L’être aimé peut puiser dans l’amour de l’autre sa motivation pour « travailler sur lui » (je déteste cette expression). […]

  • Commentaire de Sophiesexologue — 29 juin 2010 à 16 h 55 min

    Je crois que beaucoup de personnes deviennent très insécures quand vient le temps d’être déstabilisés.
    Être déstabilisées, ça implique de ne plus avoir le contrôle et ça, ouf! Beaucoup ne vivent pas bien avec!

    S’amuser, c’est aussi accepter de mettre de côté l’efficacité pour quelques instants, pour seulement vivre.

    Et ça semble facile à faire, mais on se laisse tellement emporter par le tourbillon de la vie, que parfois ça demande de la concentration de s’arrêter deux minutes! 🙂

  • Commentaire de Jocelyne Robert — 27 juin 2010 à 20 h 49 min

    Cher Paul, que vous êtes poète! Leguirec, est-ce un nom breton? Simple curiosité….

  • Commentaire de Paul le Guirec — 27 juin 2010 à 20 h 44 min

    Super message !

    Le jour où la performance suprême sera d’avoir totalement renoncé à la performance…enfin… …. En attendant on a quand même encore le droit de prendre de bonnes résolutions en vacances, de bonnes résolutions de « déprogrammmation » qu’on ne tiendra pas, mais qu’on aura à coeur de renouveler l’année prochaine !… Faute de pouvoir toujours vivre l’instant présent, on peut s’essayer à vivre l’instant rêveur !

  • Commentaire de Renée — 27 juin 2010 à 10 h 54 min

    « S’érotiser » JR
    « …L’érotisme c’est de donner au corps les prestiges de l’esprit », Georges Perros. C’est beau ainsi dit, n’est-ce pas?
    Avoir un bel esprit dans un corps pas très beau, une compensation (?). S’ajoute l’amour aveugle des gens pâmés par l’attraction. Justice de la vie comme quoi l’amour n’est pas réservé qu’aux chanceux de la beauté. On ne saurait désirer l’amour comme on s’acharne à être riche.
    Le billet de JR ne s’adresse pas encore à moi, en étant à une relation « jeune ». Nous en sommes encore à construire ce couple avec tout ce que cela implique d’imprévus, d’hésitations; aussi pas question d’avoir la nostalgie du passé, sinon les souvenirs encore récents de la rencontre, du coup de foudre, oui, c’est bien de cela qu’il aura s’agi.Il y aura eu autant de peurs que de joies, mais heureusement sans blessure grave.
    « S’amuser » sans retourner en enfance, oui, c’est possible avec une grande disponibilité de temps, exploitant ainsi une assiduité à célébrer l’amour, sans musique ni chandelles.
    Ma voisine me demandait dernièrement ce que je faisais de mes journées, sachant que j’étais à la retraite. J’hésitai un peu pour finir par lui dire que j’écrivais, que je prenais de longues marches et que j’aimais mon ami; chacune de ces activités étant en inter-relation.
    Renée

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