Ève croqua la pomme avant de croquer Adam. Dès lors, nourriture et copulation, activités assurant la survie de l’espèce, ont été proches voisines dans l’imagerie populaire.
On a jeté des passerelles entre les univers érotique et alimentaire et l’œuvre de chair évoque tout autant les plaisirs de la table que les délectations charnelles. Le ventre et les fourneaux sont des lieux magiques; la bouche est une cavité tridimensionnelle où transitent nourriture, langage et gustation érotique.
Les romains, maîtres queux de banquets orgiaques, savaient déjà que victuailles et nectar de raisins fermentés amollissent la raison et mènent à la bacchanale. Et c’est précisément dans le but de garder le contrôle des pulsions que toutes les ascèses exhortent à des pratiques sporadiques de privation alimentaire et sexuelle. Tous les pays et cultures regorgent d’instructions métaphoriques entre bouffe et érotisme. Oscar Wilde, connu pour ses amours interdites, signala fort bien la complicité sexualité-alimentation : les grands plaisirs de la vie, disait-il, sont immoraux ou font grossir. Dans le monde occidental et occidentalisé, les mots de la table et ceux du lit sont interchangeables : appétit, manger, lécher, siroter, avoir l’eau à la bouche, saliver, sucer, s’envoyer en l’air comme une crêpe, être en manque, saveurs, variété, faim, anorexie etc. Le pénis est un fruit oblong ou un suçon; le vagin, une bouche secrète; les nichons, des fruits tout ronds. Fesses-pommes, seins-poires, vulve-moule, vagin-huitre, testicule-litchie, pénis-saucisse, clitoris-petit fruit antioxydant, hymen-cerise, nectar vaginal, sperme-sève…
On dit d’une femme qu’elle est à croquer, d’un homme qu’il est ragoûtant, d’un couple d’amants qu’ils se dévorent de baisers après s’être mangés des yeux… On parle de consommation du mariage, de lune de miel, on se donne des petits noms sucrés honey, sweetie… Les histoires grivoises sont salées, crues, épicées, grasses ou croustillantes. J’ai consacré, dans Le sexe en mal d’amour, tout un chapitre à la malbouffe sexuelle et aux ingrédients et nutriments de l’érotisme. Que fait-on au bar ? On boit et on drague. Et si on n’y flirte pas, on y apprécie autant les lolos de la serveuse ou les fesses du serveur que la chope de bière. Par ailleurs, la faim de bouffe et la soif de baise se tiennent souvent par la main sur les sentiers de la séduction : on dîne aux chandelles en espérant terminer la soirée en se sustentant au lit .
Selon le principe de l’analogie des comportements, on mange ou on cuisine comme on fait l’amour. Celui qui se goinfre à table fera de même au lit ; celle qui grignote dans son assiette chipotera son homme. À l’université, un de mes professeurs disait que 80% des éjaculateurs précoces mangent vite, parlent vite et marchent vite. Le mec méticuleux qui sépare soigneusement ses aliments dans son assiette et coupe sa viande en petits carrés se déshabillera posément, placera ses vêtements un à un sur la chaise, séparant soigneusement son pantalon de sa chemise et alignera bien ses chaussures au pied du lit. Si vous espériez qu’un ogre se jette sur vous et vous dévore toute ronde, aussi bien être prévenue !
Soyons des Adam et Eve modernes. Il doit bien se cacher dans notre jardin d’Eden quelques délices inconnus à goûter et à partager. Ripaille ou casse-croûte, la communion érotique est une activité conviviale. Joyeuse. Nourricière. Bon appétit !