En Claude Béchard s’incarnait bellement l’humanité joyeuse et bagarreuse. Sa mort, à 41 ans, est insoutenable. La Commission « Mourir dans la dignité » qui s’amorce envahit tous les médias ces jours-ci … Difficile de ne pas parler de la mort en ce début d’automne monotone. Difficile d’oublier, en ce 8 septembre 2010, qu’elle existe et nous terrassera tous et toutes, cette salope.
On déteste vieillir. On fait tout pour se faire croire que le temps ne nous atteint pas. Claude Béchard lui, aurait bien aimé vieillir, mener quelques batailles à terme, voir fleurir ses enfants, chérir sa femme, contempler dans la glace son visage se plissant et ridant… Il aurait certes accueilli le naufrage de la vieillesse dont parlait Charles de Gaulle comme un cadeau du ciel si on le lui avait proposé.
Pas jojo de parler de la mort. Il le faut bien, puisque cette indésirable s’invitera de plus en plus fréquemment dans notre entourage, au fil des années. Ses visites nous révolteront toujours, aiguillonneront notre sentiment d’urgence de vivre. Ne connaissant que notre existence, on ne s’habituera jamais au passage dans l’inimaginable inexistence. En ce qui me concerne, Orphée a déjà tout troué le tissu humain de mon entourage. Plusieurs personnes bien-aimées, très proches ont pris la clé des champs infinis. Chaque fois, il a cimenté un peu plus la certitude de ma réalité toute provisoire. Maudite bonne raison de profiter d’un état dont on est absolument certain qu’il ne durera pas.
Il n’y a de réel que le temps présent. De vrai que le temps de notre vie. Vous connaissez la chanson : à l’instant même où je vous en parle, il est déjà passé! « Je n’ai pas le temps. » « Le temps me manque. » « Ah! Si j’avais du temps… » Ces sempiternelles récriminations temporelles m’énervent. Il n’y a que dans la mort que le temps nous manque réellement, puisqu’il continue sans nous. Dire qu’on n’a pas le temps équivaut à affirmer qu’on ne fait plus partie du cycle de la vie.
Aujourd’hui, si j’entends quelqu’un chialer contre l’âge et le vieillissement, je ne réponds pas de moi. Par définition, vieillir ne dure jamais très, très longtemps. Profitons-en. Profitons de ce privilège qui nous est donné de s’user, non pas à l’ouvrage, mais à l’amour de la vie et des nôtres.