Un jour, mon amoureux termina ainsi un courriel à ma petite fille qui devait avoir 7 ou 8 ans : « Dis à Jo que je l’aime… » Et elle de me répéter : « Mamiiiie! Philippe t’embrasse. »
Pour les enfants, embrasser et aimer sont synonymes. Normal. En s'exécutant en plein centre du visage, sans que la tête et les yeux ne puissent se dérober, le baiser est un acte intimiste. Il rapproche des émotions de l’autre, relie sentiment et sensation, distille de la conscience entre les deux êtres. Nombreux sont ceux et celles qui le perçoivent comme introduisant un nutriment affectueux dans le rapprochement sexuel. Rappelez-vous : les prostituées et les porn stars n’embrassent pas. Alors, si embrasser, c’est aimer et que le couple a une convention d’exclusivité affective et bien, embrasser, c’est tromper.
Je l’ai vue. Elle l’embrassait. Ils s’embrassaient à pleine bouche. J’étais furieux et vraiment triste … J’avais envie de brailler comme un veau. Elle ne comprend pas que j’aie rompu avec elle. S’ils avaient baisé, ça n’aurait pas été pire. On n’embrasse pas ainsi quelqu’un qu’on n’aime pas! C’est Simon, un jeune homme de 27 ans qui s’exprime ainsi. De toute évidence, pour lui, le baiser est une marque d’amour ou, minimalement, d’affection. Voyez ce commentaire de Geneviève, mi trentaine:
Si je suis amoureuse, le baiser est capital quand je fais l’amour. J’ai besoin que mon partenaire soit non seulement en moi mais avec moi. Et c’est le fait qu’on s’embrasse qui me permet de ressentir cette présence. Pour moi, une relation sexuelle sans s’embrasser c’est de la baise alors qu’une relation sexuelle en s’embrassant c’est de l’amour.
Le raisonnement peut sembler excessif car, si on le pousse à la limite, une fellation pourrait être considérée moins « infidèle » qu’un baiser. Thierry Ardisson a bien fait sa part pour banaliser la pipe en demandant presque systématiquement à ses invités si la turlutte était adultère. Évidemment, la plupart des mecs supputaient que s’en faire tailler une n’avait rien d’infidèle ( pôôôôvre victime passive!!!) alors que la tailleuse ne pouvait être qu’une traîtresse de première!
Il faut voir qu’embrasser n’est plus l’activité anodine qu’elle a été jadis. Je fais partie des 87%[1] de ceux et celles qui ont « pratiqué » le baiser comme on s’adonne à un sport, à un loisir ou à la prière. Frencher était un passe-temps!
J'aimerais entendre les hommes et les femmes à cet égard. Tout le monde s’entend-il sur l’idée qu’on n’a pas nécessairement envie d’embrasser quelqu’un avec qui on a envie de baiser? Qu’on est naturellement tenté d’embrasser quelqu’un qu’on aime? Par ailleurs, même quand il se suffit à lui-même et qu’il ne débouche pas sur l’intimité sexuelle, le baiser avec la langue est un acte yin-yang, éminemment sexuel. La bouche, lieu ouvert, concave et réceptif est remplie par l’autre langue, organe convexe et pénétrant. Les langues forment un viaduc reliant les dimensions relationnelle et corporelle, la volupté et la communication. Ce liant est superflu lors d’une béotienne partie de jambes en l’air ou d’une « petite vite ». Parce que embrasser, c’est murmurer des mots d’amour dans la bouche de l’autre. C’est nourrir et se laisser nourrir.
[1] Statistique tirée de Medico-Vergriete Denise, Le Baiser, Stanké, 1999