Vous avez noté, j’en suis certaine, l’habituelle laideur des mots sexuels. Des mots honteux comme des maladies, souvent truffés de g occlusifs et postpalataux, de r constrictifs comme des boas. Leur résonance et consonance glacent plus qu’elles n’échauffent et donnent l’impression que la personne qui les prononce a avalé un parapluie. Dans une langue à la phonétique douce et harmonieuse comme celle de la langue française, il est étrange que les mots de l’érotisme jaillissent souvent comme des fientes vénériennes ou des crachats assassins. Jetons un coup d’œil sur quelques-uns de ses vocables à faire débander Priape …
– Masturbation… Mas-tur-ba-tion. Voilà un vocable dont la répugnante sonorité fait l’unanimité. Un timbre qui décourage à jamais de se câliner. Pas étonnant que le langage populaire lui ait trouvé de sympathiques et fières expressions substitutives dont la plus appréciée, utilisée et compensatoire est certes la douce branlette. Avouez que « se branler » est passablement plus musical, rythmique et symphonique que se mas-tur-ber!
– Orgasme : Même si la durée de l’expérience n’est surtout pas prolongeable à l’infini, ce mot résonne comme un poing d’orgue! Certains européens prononcent à l’anglaise orgazme. Effet assuré : on jurerait le gazage!
– Orgie. Berk! Ce substantif m’a toujours fait penser à l’orgelet pustuleux et purulent.
– Vagin… Je devais avoir 10 ans la première fois que ce mot s’est glissé dans mon oreille virginale. Dans la gauche, je m’en souviens. Le ver d’oreille nous fait chanter. Le vagin d’oreille m’a donné envie de vagir comme un crocodile (joli mot crocodile non?). Jusque là, j’ignorais même l’existence de ce tunnel mirifique.
– Son pendant (sans jeu de mots), le pénis, est un mot bien plus joli. Quoique dans la bouche (je parle du mot pas de l’organe), il occupe le même espace que la « peine ». Vive le rikiki! Voilà un mot qui rit!
Que dire de cunnilingus et de fellation? Sont-ce des activités perverses réservées à quelques vicieux polymorphes? Ou pire encore, des maladies incurables? Ça ressemble à tout sauf à des câlineries. Que penser des pollutions nocturnes réduisant l’arrosage spontané et son arroseur à une vulgaire équipe polluant-pollueur? Et de l’éjaculation, ce mot qui retentit comme une éructation nucléaire. Quant au scrotum, on tremble rien qu’à l’articuler et les enfants baragouinent crotte homme jusqu’à la puberté.
Passons sur la panoplie de noms effrayants attribués aux maux de l’amour… Des mots pour nous dégoûter à jamais de l’érotisme et de la sexualité. Par bonheur, il y a le gai clitoris[*], la vulve veloutée et le fiérot zizipanpan pour dérider un peu cette nomenclature ampoulée. Les êtres humains n’ont pas inventé en vain un vocabulaire parallèle, cochon, jovial, coloré, poétique et métaphorique. Concluons ce billet avec le terme sexuel que j’abhorre entre tous bien qu’il désigne une gestuelle intimiste des plus voluptueuses et savoureuses : le coït.
J’exècre tant ce substantif que je l’ai rarement utilisé en 25 ans de carrière sexologique et toute une vie de pratique érotique! Co-ït? Un mot qui rime à « quoi »? Qui s’apparie à l’impassible « coi » et s’apparente au « quoi » investigateur. Qui ressemble à « coin » et à « cogne ». Une sonorité qui met K.O. la plus intime et la plus fondante caresse amoureuse. Ses synonymes n’offrent guère de prix de consolation. Fornication? Pouah! Ça sonne vite fait, mal fait et « camp de concentration ». Accouplement serait presque acceptable si le terme évoquait moins la monte animal. Non mais… vous rendez-vous compte? Pour désigner l’étreinte intimiste par laquelle deux personnes sont plus proches que proches, pour nommer ce ballet érotique dans lequel les amants s’avancent l’un vers l’autre, s’ouvrent l’un à l’autre, se prennent, se reçoivent, s’investissent et s’envahissent, on n’a pas trouvé mieux que coït et coïter! Baisons alors! C’est bien meilleur!
[*] L’origine du mot clitoris n’est pas claire. Il viendrait du grec et une source du 2e siècle suggère que le terme dérive du verbe kleitoriazein qui signifie titiller de façon lascive en vue d’obtenir le plaisir. Tiré de Femmes! De la biologie à la psychologie, la féminité dans tous ses états, Natalie Angier, Robert Laffont, 1999