Il y a quelques semaines, je participais à une discussion chez Bazzo.tv sur le thème Nos cinéastes masculins broient-ils du noir ? Difficile de répondre par la négative lorsqu’on passe en revue la filmographie québécoise récente : Route 132, À l’origine d’un cri, Trois temps après la mort d’Anna, 10 ans et ½, Les sept jours du Talion, Filière 13, J’ai tué ma mère, Incendies et j’en passe…
C’est clair qu’ils broient du noir. Une noirceur éblouissante et aveuglante de vérité, mais une noirceur quand même. Force est de constater par contre, quand on y regarde de plus près, que le cinéma québécois est monopolisé depuis quelques années par les hommes de la génération X , c’est à dire les 35-50 ans. Je pense que les cinéastes québécois ne broient pas plus de noir que les hommes de leur génération dont ils sont le reflet. Conséquemment, la question à se poser est plus large : Pourquoi les hommes de la génération X broient-ils du noir ?
Identité personnelle, identité collective
Dans le cinéma québécois actuel, les hommes cherchent désespérément leur identité personnelle : Qui suis-je ? D’où viens-je ? Que veux-je ? Où vais-je ?… Faut-il y voir une relation avec la quête du pays jamais advenu ? Peut-être. Chose certaine, les repères sont bien plus fragiles maintenant qu’ils ne l’étaient pour les baby boomers. Ces derniers ( et les cinéastes qui les ont représentés) se demandaient joyeusement : Où va mon groupe ? Où va le monde ? Qu’allons-nous en faire ? Les quêtes et les rêves étaient autant collectifs que les communes dans lesquelles ils germaient.
Or, l’identité collective ne repose plus, ni sur la religion et sur les traditions des générations anciennes, ni sur les rêves et espoirs d’un nouveau monde qui habitaient les baby boomers. En fait, on ne sait plus trop sur quoi elle repose. Dans le cinéma actuel, on retrouve presque toujours l’homme de la génération X, confronté à ses démons de la sphère privée : rapport à la mère, au père, à la famille, à la femme , à l’amour, à ses échecs ou succès très perso…)
Société de marché
Les époques régies par des morales d’interdits ont vu naître des créateurs proposant images et messages libérateurs, éclatés, érotiques… Rappelons-nous combien le cinéma de Gilles Carle a été libérateur et déconstipant, celui de Denys Arcand, politique. Celui d’aujourd’hui, monopolisé par l’individualiste génération X, est à son image : nihiliste et tourné vers soi. Cela n’est pas un reproche mais un constat. Il ne faut pas oublier que ce sont les rêveurs et libertaires baby boomers qui ont accouché des X. Cela me fait penser qu’en France, on parle des « personnes nées sous X » pour désigner les enfants nés de parents inconnus. Corrélation inverse avec la génération X, née de parents trop connus … ?
L’époque actuelle, régie par une morale légère, de consommation, de performance et de réussite privées semble forcer les créateurs à mettre en scène des personnages lourds, denses, texturés voire torturés. Comme si, plus une société était pétrie de vide et de légèreté, plus ses créateurs avaient besoin de fouiller les abyssales profondeurs de l’âme, de sonder le terrain d’une « moralité » individuelle. C’est ce que nous offre notre filmographie québécoise actuelle : une recherche de sens et de signification.
Lendemain des révolution féministe et sexuelle
Les hommes de la génération X sont les fils de ces hommes insouciants, imbus et rêveurs et de mères féministes qui se sont affirmées pour conquérir leur juste part gâteau. Nombre d’entre eux ont eu des pères absents et par ricochet, des mères omniprésentes et pétaradantes. Ce sont des trentenaires et des quadragénaires qui ont souvent des demi-frères et demi-sœurs qui pourraient être leurs propres enfants, nés d’une seconde union paternelle. Ils cherchent leur place : Qu’est-ce qu’aimer ? En suis-je capable ? Comment s’engager ? Quel sens a ma vie…
Non seulement il me semble compréhensible que le cinéma actuel, porté par ces hommes de la génération X, broie du noir mais je trouve cela très sain. Il ne s’agit pas là de désespérance et d’enfermement mais d’un élan créateur pour nommer et montrer. Il faut bien nommer les choses pour leur permettre d’être reconnues, de vivre et ensuite de mourir. Ce qui n’est pas nommé ne peut pas mourir.[1] Les cinéastes de la génération X sont loin de refuser la réalité. Ils la contactent au contraire, pour mieux la désamorcer, l’exorciser. C’est dans cet esprit que je paraphrasais Kafka, plus tôt, en disant que le cinéma actuel est éblouissant de noirceur et de vérité.
Vos commentaires sont les bienvenus. Surtout ceux des hommes de cette génération.
Écrire ce texte m’a donné envie de clarifier l’étiquetage générationnel. Ce sera l’objet de mon prochain billet.
[1] Il faut avoir aidé des personnes ayant été victimes d’inceste ou d’agressions sexuelles pendant de longues périodes pour mesurer la justesse de cet énoncé.