Je suis un peu en retard avec le sujet de ce billet. J'étais à Paris pour la promotion de mon dernier livre lorsque le commentaire de Marc Cassivi a été publié dans la Presse du 18 novembre. Je n'ai pas dû lire ma "Presse sur mon ordi" ce jour là car il m'avait échappé. C'est seulement aujourd'hui que je suis tombée dessus par hasard. Le journaliste avait écrit un petit bout de texte en complément à la chronique de son confrère Hugo Dumas, édition du 16 novembre, intitulée: Chirurgie esthétique, en parler ou pas?
Habituellement, j'ai plutôt tendance à être assez d'accord avec les opinions de Marc Cassivi. Je le suis encore, sauf pour les deux dernières lignes. Deux lignes avec lesquelles il conclue et qui m'ont fait sursauter. À la fin donc de ce papier sur un autre sujet, il dit, en terminant, des choses énormes et répète la sempiternelle rengaine voulant que la chirurgie esthétique soit strictement une question personnelle ne regardant que la personne qui y a recours. Pour avoir étudié cette question et sa dérive on ne peut plus sérieusement, je réponds que là-dessus Marc Cassivi a tort. La chirurgie esthétique, presqu'autant banalisée qu'une visite chez le coiffeur depuis une quinzaine d'années, est tout, sauf "strictement personnelle" . C'est une question économique, psychologique, sociale, de santé, culturelle et surtout éminemment politique. Même les chirurgiens plasticiens, du moins ceux qui ont un minimum de conscience sociale et de sens éthique, le reconnaissent.
À cet égard, je recommande fortement à tous et toutes, mais particulièrement aux journalistes qui "se permettent" sur la question des avis expéditifs, hélas très influents, de lire le livre de l'éminent chirurgien plasticien, Maurice Mimoun, Impossible Limite, carnets d'un chirurgien et dans une sphère plus socio-politique, de se documenter en consultant les travaux de la sociologue québécoise Louise Vandelac. Autrement, le chapitre 4 de mon livre Les femmes vintage (assez étoffé et documenté pour s'être mérité de nombreuses critiques élogieuses pour sa rigueur et sa solide recherche, ici comme en Europe) mérite d'être lu.
Quant à savoir si on doit discuter de chirurgie esthétique ou la garder secrète, la réponse est évidente. Se demande-t-on si on doit parler de santé, de mieux-être, d'éducation, de maladies, de problématiques sociales..? Voyons donc!
Une dernière chose, assez grave. En une phrase, lorsqu'il compare la chirurgie esthétique populaire avec le très sérieux trouble d'identité sexuelle qu'est le transsexualisme en écrivant "Faudrait-il condamner les hommes qui changent de sexe, sous prétexte que ce n'est pas toujours beau?", Marc Cassivi fait preuve d'ignorance, sinon de mauvaise foi. Et il mêle tout. D'abord, il n'a jamais été question pour quiconque discute et déconstruit sérieusement la chirurgie esthétique de "condamner" qui que ce soit et surtout pas les femmes. Bien au contraire. Pas question non plus de personnaliser le débat. Et puis, comment peut-on mettre sur un même pied un processus chirurgical rarissime, dicté par un trouble identitaire et de genre tout aussi rare causant une souffrance existentielle sans égal, avec l'engouement effréné pour une quête d'éternelle jeunesse? Ainsi formulée, la question illustre la triste méconnaissance des deux réalités.
Encore une fois, le problème est mal posé. Et l'approche est simplificatrice. Il ne s'agit pas de se demander si on est pour ou contre les rénovations esthétiques. La question préalable est: pourquoi? Seule cette question, approfondie, peut faire émerger des réponses porteuses de compréhension et mener, éventuellement, à des décisions mieux éclairées. Une trentaine d'années d'intervention et de relation d'aide auprès des femmes m'a permis de bien comprendre que ni l'estime de soi, ni le bonheur, ni le droit d'aimer et d'être aimé ne sont au bout du bistouri.
Il est vrai que dans nos univers mercantiles, il est plus aisé d'ouvrir les corps plutôt que les têtes.