jocelyne robert

 

Bien que l'on convienne aujourd'hui que la sexualité contribue à l'équilibre physique et mental de tout être humain, on persiste à ressentir des peurs tenaces devant l'expression sexuelle des personnes qui présentent une déficience, fusse-t-elle physique ou intellectuelle. 

Ces personnes naissent et vivent pourtant sur la même planète que nous :  elles subissent la même influence d'une société de consommation, médiatiquement hypersexualisée; elles imitent les modèles que nous représentons. Plus souvent victimes d'abus, de préjugés, elles reçoivent rarement l'aide et le soutien nécessaires à une prise en charge maximale de leur sexualité. Ne serions-nous pas plus tranquilles si la personne handicapée était également handicapée sexuellement?

Tantôt nous les imaginons asexuelles,  incapables de plaisir, de désir, de discernement, tous et toutes des enfants à protéger; tantôt nous les croyons aux prises avec une pulsion sexuelle débridée, dénaturée, volcanique, incontrôlée et incontrôlable.  Dans un cas comme dans l'autre, nous nous empêchons d'informer, d'éduquer à la sexualité sous prétexte que de toute façon, soit elles n'y comprendraient rien, soit elles ne peuvent s'épanouir érotiquement dans leurs conditions. Notre silence les amènent à avaler le modèle sexuel dominant, sexiste et violent, les rend plus vulnérables à l'abus, sexuel ou non sexuel, les renforce dans leur sentiment d'incapacité : je ne suis pas normal-e, je ne suis pas capable

Est-ce leur handicap qui accentue leur vulnérabilité ou nos propres préjugés à l’endroit de ce handicap?  Nous nous gargarisons d'édifiantes théories  humanistes, axées sur le potentiel développemental de chaque être humain alors que dans les faits, nous tolérons mal la différence, nous  réservons l'épanouissement affectif et sexuel aux adultes sains, beaux, jeunes et intelligents ( et plus encore s'ils sont riches et bronzés)Par exemple, savez-vous que dans 90% des cas d’abus sexuels commis sur des personnes qui présentent une déficience intellectuelle, l'agresseur est un homme chargé d'en prendre soin : travailleur de l'institution, parent de la victime, membre de la famille d'accueil ou de la famille reconstituée.  Est-il utile de souligner l'urgence d'aider les victimes potentielles, et ce, dès leur plus jeune âge:  à distinguer les soins qui leur sont  fournis pour leurs besoins personnels des attouchements abusifs, à devenir capables de déterminer ce qui est approprié et ce qui ne l'est pas dans un attouchement.  Quel risque courrions-nous à faire confiance à leur capacité d'apprendre et de comprendre?  À les renseigner sur la victimisation sexuelle?  À leur permettre d'accroître leurs connaissances?  Le rare risque encouru ne serait-il pas d'ébranler le stéréotype d'incompétence dont on les a stigmatisées et qui amplifie largement leur vulnérabilité?  

C'est un secret de polichinelle que les hommes et les femmes de loi se sont surtout penchés sur la question de la stérilisation bien plus que sur tout autre aspect de la sexualité des personnes qui présentent un déficit intellectuel ou physique.  Encore aujourd'hui, le débat est centré sur la protection de la sexualité-reproduction plutôt que sur l'épanouissement de la personne elle-même.

Nous avons tendance à nous représenter la sexualité des personnes différentes  à l'image de notre perception de leur différence : anormale et grotesque.  Pourtant, de nombreuses recherches ont démontré que le simple fait de pouvoir parler ouvertement de sexualité a permis à des personnes handicapées, physiquement ou intellectuellement, de mieux s'accepter comme être sexué et de s'estimer davantage comme personne humaine.  Sandra Hard * a montré de façon convaincante que l'éducation à la sexualité influe considérablement sur la capacité de se soustraire aux situations problématiques et abus.

Quant aux attitudes du personnel des milieux institutionnels à l’égard de la sexualité de leurs bénéficiaires, elles sont, la plupart du temps, répressives ou « pompières ».  Dans le premier cas elle visent l'élimination d'un comportement non conforme aux valeurs personnelles : on sévit sans chercher à aider vraiment. Dans le second cas, une fois qu’untel a été orienté sur des activités ludiques plus rassurantes, on considère le feu éteint et on passe à l'urgence suivante.  Les priorités sont prescrites par le caractère déviant ou dérangeant du comportement.  Dans les milieux plus permissifs, on met une chambre à leur disposition sans questionner la situation et ses implications.  On se dit : "s'ils veulent de l'information, nous sommes là.  Pourquoi devancer leur besoin?"  Il ne viendrait pourtant jamais  à l'esprit d'attendre pour leur apprendre à se brosser les dents ou à prendre l'autobus, à être le plus autonome possible, malgré leur handicap.

La sexualité appartient à tous et à toutes. L'éducation sexuelle a comme objectif fondamental de rendre la personne capable de donner le consentement le plus libre et le plus éclairé possible, ou de solliciter ce consentement dans le but de partager la sexualité.  Ce droit à consentir et à proposer laisse voir que l’accord ne va pas sans possibilité de désaccord et le distingue largement de l’énoncé de ce qui est permis ou interdit!

Je doute moins de la capacité des personnes handicapées  à assimiler de l'information que de la volonté réelle des personnes normales qui les entourent à transmettre cette information. C'est dans la mesure où nous accepterons de remettre vraiment en question notre silence quant au droit à la sexualité des personnes "différentes" que nous parviendrons à fournir une réponse limpide et aidante  à leur souffrance sexuelle  et identitaire. *   Sexual abuse of the developmentally disabled : a case study,

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Publié dans : Corps, Culture et Société, Éducation
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9 commentaires

  • Commentaire de Jocelyne Robert — 23 mai 2012 à 20 h 54 min

    Merci Solange pour ce partage. Leur souffrance est effectivement très grande . Et liée au sentiment de devoir faire le deuil, non seulement de leur fonction génitale, mais aussi de leur identité sexuelle…

  • Commentaire de Solange Chiasson — 23 mai 2012 à 20 h 24 min

    Ma fille travaille comme sexologue-clinicienne avec une clientèle de gens qui deviennent handicapés physiquement suite à un accident, ect…Elle me dit que c’est tellement dur pour eux lorsqu’ils comprennent que leur sexualité d’avant est terminée, alors qu’ils sont souvent dans la jeune vingtaine.Elle lit sur leur visage le désespoir à l’état pur!L’aspect sexuel est tellement important dans nos vies et pour tous, que les gens qui vivent cela, même s’il y a aussi d’autres lourdes implications à tous les niveaux, me touchent beaucoup.

  • Commentaire de Jocelyne Robert — 28 février 2011 à 16 h 25 min

    Merci beaucoup Maria Elena. J’irai me promener sur votre blog avec plaisir. Sorry I do not speak spanish. Do you speak and understand french? Or english? Hope we could communicate. Bye Bye

  • Commentaire de maria elena villa abrille — 27 février 2011 à 9 h 57 min

    Felicito por su web
    Soy Psicóloga y sexóloga Argentina y trabajo con personas con discapacidades
    Invito a conocer mi web y blog http://www.sexualidadydiscapacidad.com
    Saluda
    Lic Ma Elena Villa Abrille

  • Commentaire de Annick — 21 janvier 2011 à 22 h 22 min

    Quel beau texte! J’irais même plus loin en ajoutant que les personnes vivant un problème de santé mentale vivent également ce tabou lié à l’expression de la sexualité. Et ce tabou entraîne inévitablement des conséquences pas très positives. La croyance que ces individus sont asexués entraîne une normalisation de l’absence de désir; le non-respect et la méconnaissance de leurs droits sexuels génère des sentiments de honte, de culpabilité et de malaise vis-à-vis leur sexualité. Des croyances tenaces quant à la « folie » lient celle-ci à une sexualité débridée laissant l’individu avec la honte et la peur de vivre sa sexualité. Et je n’élaborerai pas ici sur l’atteinte à l’intégrité masculine ou féminine, à la satisfaction sexuelle ou aux compétences sexuelles.

    Oui à l’éducation sexuelle qui aura certainement comme impact de sortir ces individus de leur sexualité marginalisée. Oui aussi à une éducation à la citoyenneté sexuelle qui non seulement amène l’individu à se reconnaître comme un être sexué et sexuel mais qui permet également l’établissement d’un dialogue entre les différents intervenants afin d’en finir avec ces nombreux tabous.

  • Commentaire de Monique G — 8 décembre 2010 à 11 h 54 min

    « Bien que l’on convienne aujourd’hui que la sexualité contribue à l’équilibre physique et mental de tout être humain,.. »

    Oui probablement…mais votre billet suscite une très belle réflexion qui ,selon moi, devrait aller encore plus loin c’est-à-dire inclure d’autres conditions temporaires ou permanentes ( ex: sida, ITS incurables, allergies ,conditions physiques qui restreignent la mobilité etc) qui peuvent imposer des limites à la vivance de la sexualité….

    Est-ce à dire qu’à cause des limites, des handicaps … un déséquilibre est à craindre, que ces personnes deviennent suspectes …potentiellement proches de la folie? à à rejeter , à exclure ?

    Que la différence est encore difficile à inclure et honorer !

    Merci de nous amener encore une fois à pousser la réflexion….inclusive.

    Et je souhaite ..pour ce temps de réjouissance, un prochain billet coloré d’un zeste de tendresse pour tous ceux et celles qui ne peuvent pour le moment vivre une sexualité espérée et souhaitée.

  • Commentaire de Menlu Nem — 7 décembre 2010 à 17 h 15 min

    Tant qu’à moi ce n’est pas le tabou des tabous…la perversion des perversions…la sexualité des personnes handicapées est un sujet qui ressemble à quelques chose que l’on imagine mal et négativement par son essence même. Et je ne fais pas référence au droit…qu’ils ont à faire ce qu’ils ont envie de faire.

  • Ping de Tweets that mention La tabou des tabous! | Les Femmes Vintage - Le blogue de Jocelyne Robert -- Topsy.com — 7 décembre 2010 à 15 h 30 min

    […] This post was mentioned on Twitter by Dennis Mayr, Isa. Isa said: le tabou des tabous! – http://lesfemmesvintage.com/2010/12/07/la-sexualite-des-personnes-handicapees-le-tabou-des-tabous/ […]

  • Commentaire de martin dufresne — 7 décembre 2010 à 13 h 07 min

    Il faudrait tout de même parler de l’exploitation sexuelle des femmes et des filles institutionnalisées par leurs gardiens, et de la construction de la déficiente intellectuelle comme « bête de sexe » par une certaine pornographie « dure », toujours en quête de nouveaux « tabous » à agiter pour émoustiller leur public. Il me semble que ces facteurs – qui présentent comme « érotique » le déséquilibre de pouvoir entre l’un et l’autre, l’oppression pour parler clairement – pèsent aussi lourd dans la balance que notre gêne collective face à l’expression sexuelle des personnes hors-normes pour une raison ou une autre.

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