Bien que l'on convienne aujourd'hui que la sexualité contribue à l'équilibre physique et mental de tout être humain, on persiste à ressentir des peurs tenaces devant l'expression sexuelle des personnes qui présentent une déficience, fusse-t-elle physique ou intellectuelle.
Ces personnes naissent et vivent pourtant sur la même planète que nous : elles subissent la même influence d'une société de consommation, médiatiquement hypersexualisée; elles imitent les modèles que nous représentons. Plus souvent victimes d'abus, de préjugés, elles reçoivent rarement l'aide et le soutien nécessaires à une prise en charge maximale de leur sexualité. Ne serions-nous pas plus tranquilles si la personne handicapée était également handicapée sexuellement?
Tantôt nous les imaginons asexuelles, incapables de plaisir, de désir, de discernement, tous et toutes des enfants à protéger; tantôt nous les croyons aux prises avec une pulsion sexuelle débridée, dénaturée, volcanique, incontrôlée et incontrôlable. Dans un cas comme dans l'autre, nous nous empêchons d'informer, d'éduquer à la sexualité sous prétexte que de toute façon, soit elles n'y comprendraient rien, soit elles ne peuvent s'épanouir érotiquement dans leurs conditions. Notre silence les amènent à avaler le modèle sexuel dominant, sexiste et violent, les rend plus vulnérables à l'abus, sexuel ou non sexuel, les renforce dans leur sentiment d'incapacité : je ne suis pas normal-e, je ne suis pas capable.
Est-ce leur handicap qui accentue leur vulnérabilité ou nos propres préjugés à l’endroit de ce handicap? Nous nous gargarisons d'édifiantes théories humanistes, axées sur le potentiel développemental de chaque être humain alors que dans les faits, nous tolérons mal la différence, nous réservons l'épanouissement affectif et sexuel aux adultes sains, beaux, jeunes et intelligents ( et plus encore s'ils sont riches et bronzés)Par exemple, savez-vous que dans 90% des cas d’abus sexuels commis sur des personnes qui présentent une déficience intellectuelle, l'agresseur est un homme chargé d'en prendre soin : travailleur de l'institution, parent de la victime, membre de la famille d'accueil ou de la famille reconstituée. Est-il utile de souligner l'urgence d'aider les victimes potentielles, et ce, dès leur plus jeune âge: à distinguer les soins qui leur sont fournis pour leurs besoins personnels des attouchements abusifs, à devenir capables de déterminer ce qui est approprié et ce qui ne l'est pas dans un attouchement. Quel risque courrions-nous à faire confiance à leur capacité d'apprendre et de comprendre? À les renseigner sur la victimisation sexuelle? À leur permettre d'accroître leurs connaissances? Le rare risque encouru ne serait-il pas d'ébranler le stéréotype d'incompétence dont on les a stigmatisées et qui amplifie largement leur vulnérabilité?
C'est un secret de polichinelle que les hommes et les femmes de loi se sont surtout penchés sur la question de la stérilisation bien plus que sur tout autre aspect de la sexualité des personnes qui présentent un déficit intellectuel ou physique. Encore aujourd'hui, le débat est centré sur la protection de la sexualité-reproduction plutôt que sur l'épanouissement de la personne elle-même.
Nous avons tendance à nous représenter la sexualité des personnes différentes à l'image de notre perception de leur différence : anormale et grotesque. Pourtant, de nombreuses recherches ont démontré que le simple fait de pouvoir parler ouvertement de sexualité a permis à des personnes handicapées, physiquement ou intellectuellement, de mieux s'accepter comme être sexué et de s'estimer davantage comme personne humaine. Sandra Hard * a montré de façon convaincante que l'éducation à la sexualité influe considérablement sur la capacité de se soustraire aux situations problématiques et abus.
Quant aux attitudes du personnel des milieux institutionnels à l’égard de la sexualité de leurs bénéficiaires, elles sont, la plupart du temps, répressives ou « pompières ». Dans le premier cas elle visent l'élimination d'un comportement non conforme aux valeurs personnelles : on sévit sans chercher à aider vraiment. Dans le second cas, une fois qu’untel a été orienté sur des activités ludiques plus rassurantes, on considère le feu éteint et on passe à l'urgence suivante. Les priorités sont prescrites par le caractère déviant ou dérangeant du comportement. Dans les milieux plus permissifs, on met une chambre à leur disposition sans questionner la situation et ses implications. On se dit : "s'ils veulent de l'information, nous sommes là. Pourquoi devancer leur besoin?" Il ne viendrait pourtant jamais à l'esprit d'attendre pour leur apprendre à se brosser les dents ou à prendre l'autobus, à être le plus autonome possible, malgré leur handicap.
La sexualité appartient à tous et à toutes. L'éducation sexuelle a comme objectif fondamental de rendre la personne capable de donner le consentement le plus libre et le plus éclairé possible, ou de solliciter ce consentement dans le but de partager la sexualité. Ce droit à consentir et à proposer laisse voir que l’accord ne va pas sans possibilité de désaccord et le distingue largement de l’énoncé de ce qui est permis ou interdit!
Je doute moins de la capacité des personnes handicapées à assimiler de l'information que de la volonté réelle des personnes normales qui les entourent à transmettre cette information. C'est dans la mesure où nous accepterons de remettre vraiment en question notre silence quant au droit à la sexualité des personnes "différentes" que nous parviendrons à fournir une réponse limpide et aidante à leur souffrance sexuelle et identitaire. * Sexual abuse of the developmentally disabled : a case study,