Alice – Moi, je vais marier papa…
Sa maman – Mais non… On ne marie pas son papa...
Alice – Pourquoi? Tu l'as bien marié toi!
Sa maman – L'homme que j'ai marié n'était pas mon père;
je l'ai quitté mon papa et tu feras la même chose quand tu seras grande…
Alice fait la moue.
Sa maman – Tu sais, on est triste un moment puis après, si tu savais comme on est contente
Alice pense: Hé! Devenons grande, ça vaut le coup!
Petit chagrin vite dissipé. Si on sait lui être attentif, l'enfant comprend et accepte graduellement que ses parents forment un couple. Ou que le parent avec lequel il vit, a des relations affectives qui ne lui enlèvent rien à lui ou à elle.
Le renoncement à l'amour parental exclusif ébauche la résolution de ce que l'on a appelé le complexe d'Oedipe et ouvre la voie aux relations extra-familiales. Mieux encore, si "être adulte" paraît attrayant et désirable, ce détachement donne à l'enfant le goût de grandir.
Électre, amoureuse de papa – Oedipe, fou de maman *
Le mot complexe sous-entend la réunion de plusieurs éléments et phénomènes qui forment un ensemble…compliqué, enchevêtré.
L'oedipe, c'est le premier roman d'amour. Peu banale, cette idylle de la petite enfance influerait, selon l'hypothèse psychanalytique, sur toutes histoires d'amour subséquentes, répercutant le sublime et les misères de l'amour initial. Le théâtre oedipien met en scène la rivalité, la jalousie et l'amour-opposition pour le parent de son sexe; la séduction, l'attrait et l' amour-adulation pour le parent de l'autre sexe.
L'intrigue prend place vers trois ou quatre ans; la consolidation d'identification sexuelle en constitue le dénouement. C'est Freud qui, le premier, a décrit le processus de l'identification. Garçon ou fille s'identifie d'abord à la mère puis développe des dispositions "romanesques" envers ses parents. Avec la découverte de ses organes génitaux et de la différence sexuelle, les plaisirs sensuels se transforment en émois plus spécifiquement sexuels. Une composante sexuée intervient désormais dans la relation affective parent-enfant. Il s'agit pour l'enfant de savoir pourquoi cette différence, à quoi elle sert et de se situer lui-même du côté des hommes ou du côté des femmes.
Émile-Oedipe, soupirant de maman, envie le statut particulier de son père: les yeux doux qu'elle destine à cet homme, la manière qu'elle le touche, la place qu'elle lui réserve dans son lit… Puisqu'il ne peut supplanter cet émule, il se rallie en devenant comme lui. Ce faisant, il affirme sa masculinité, s'assure de la protection et de l'affection de son père et risque d'accroître l'amour de sa mère.
Alice-Électre poursuit son parcours d'identification** à la mère tout en tentant de lui ravir son homme. Elle vérifie son propre pouvoir, teste sa séduction, se confirme qu'elle est une "femme" en incendiant le coeur du père. Plus ensorceleuse que tous les symboles sexuels réunis, à côté de cette vamp de 4 ans, Madonna peut aller se rhabiller! Alice-Électre en remet… au prorata de l'omniprésence de la rivale, sa mère.
Comment ça se passe ou Les élans érotiques d'Alice-Électre et d'Émile-Oedipe
Le parent de l’autre sexe devient objet d'admiration, de convoitise, de possession, d'envie, d'identification: on veut sa puissance, sa beauté, sa force…. Besoin de séduction oblige: elle lui fera des avances aussi directes qu'ingénues:
Regarde comme je suis belle! (entendre "bien aussi belle que ta blonde non?")
Chez le garçon, ce désir de conquérir se teinte aussi d'émulation:
Moi aussi je suis fort comme toi! (traduire "je vais devenir plus puissant que toi")
L'enfant de cet âge devine et envie le caractère intense du lien qui unit ses parents: elle se flanquera entre eux deux pour les séparer lorsqu’ils s’embrassent, il se glissera dans leur lit s'il soupçonne qu’ils s’y font des câlins. Ils veulent à la fois les partager et les séparer l'un de l'autre. Le garçon veut sa mère pour lui tout seul. Il la couvre d'attentions, de bisous et de pissenlits en saison, se comporte comme un "mâle" entreprenant. Il annoncera sans vergogne que, quand papa sera mort il filera le parfait bonheur avec sa veuve. La fille manifeste un intérêt renouvelé pour son père. Et plus celui-ci aura de l'importance aux yeux de sa conjointe, plus il en aura aux siens. Elle le dorlote, le cajole et le charme. Puis l'invective: C'est pas juste! Tu dors toujours avec elle!
Les déclarations d'amour oedipiennes ne sont pas toujours aussi clairement formulées. Si vous remarquez que votre petite Rosalie de quatre ans interpelle son père par son prénom tout en continuant de vous appeler Maman, si vous observez que votre Léon, cinq ans, suggère aimablement d'oublier papa à la cave pour convertir la promenade familiale en une échappée seul à seule avec vous et bien, concluez que votre enfant est subtil dans l'expression de son conflit oedipien…
Que faire?
Vous êtes le père. Elle pique le collier de maman, se beurre de rouge à lèvres pour vous rejoindre à la cuisine où vous concoctez le repas: déposez votre tablier, dites-lui que vous l'aimez aussi, telle qu'elle est, parce qu'elle est votre fille… Auprès de votre fils, prenez votre place; n'hésitez pas à vous immiscer dans le coeur-à-coeur mère-fils, suscitez des lieux de partage et de rencontre avec lui.
Vous êtes la mère. Permettez à votre fils de vous quitter un peu plus chaque jour, de vivre des moments privilégiés "d'homme à homme" avec son père ou avec d'autres figures masculines. Demandez-vous si vous n'êtes pas un peu encline à des relations exclusives avec lui… Acceptez que votre fillette soit non seulement mignonne et adorable mais aussi sexuée et "désirante". N'hésitez pas à reconnaître et à nommer dans son corps de fille ce qui est semblable à votre corps de femme. Cela est d'autant plus important que son anatomie féminine est, pour l'instant, dépourvu d'attributs féminins apparents: seins, hanches, taille fine et poils pubiens.
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Personnages d'Oreste et d'Électre.
* Oedipe est le personnage d'une tragédie de l'antiquité dans laquelle celui-ci ne peut éviter l'oracle prédisant qu'il tuerait son père, Laïos et épouserait sa mère, Jocaste. Certains ont appelé complexe d'Électre, l’équivalent féminin du symbole oedipien. Dans la Grèce antique, Électre était fille d'Agamemnon et de Clytemnestre. Avec son frère Oreste, elle aurait assassiné sa mère pour venger son père,victime de son épouse et de l'amant de celle-ci.
** Le mode d'identification de la fille ne subit pas la même rupture de parcours. Dans cet esprit ont peut dire qu’il est plus relationnel qu'oppositionnel