Aujourd'hui dans le journal La Presse, j'ai publié un texte sur l'affaire Turcotte, ce médecin qui vient d'être déclaré non criminellement responsable de la mort de ses deux enfants qu'il a poignardés. Vous pouvez voir ce texte que le journal a titré "Guy Turcotte a tout tué". Je le reproduis ici, en précisant que le titre que j'avais suggéré était "Turcotte: De l'amour…?"
« C’était un père merveilleux… Il adorait ses enfants… Un homme si bon et si aimant… Il était si perturbé par son chagrin d’amour » Combien de fois avons-nous lu ou entendu de tels commentaires à l’égard du cardiologue qui a poignardé ses enfants ?
Mon propos choquera peut-être. J’ai besoin de mettre des mots sur ce que j’éprouve depuis le début de cette horrible saga: je crois que Guy Turcotte n’aimait ni sa femme ni ses enfants. L’amour ne tue pas.
Guy Turcotte aimait la perfection et l’éclat doré qu’elle projette. Il aimait le halo de perfection qui l’entourait. Il aimait le fantasme, joli comme un dessin d’enfant : un grand arbre, un belle maison, du beau gazon, un grand soleil et, dans cette image idyllique, un Papa, grand Docteur respecté, une jolie Maman, docteure aussi mais avec un « d » un peu plus minuscule, et deux enfants magnifiques, un garçon et une fille, évidemment.
Il aimait projeter cet idéal, envié et enviable. Il aimait aimer ou peut-être plus encore, il aimait avoir l’air d’un homme aimant : sa femme, ses enfants, sa vie exemplaire, sa profession si humaine, sa famille, sa maison…
Il aimait, m’a-t-on dit, aller en vacances avec sa famille et des amis médecins et spécialistes comme lui, montrer les films où il jouait dans la mer avec ses petits. Son « pattern » incarnait l’image du bonheur : succès, réussite, aisance, performance et perfection. C’était (c’est toujours) un homme d’une haute intelligence cognitive. Son QI est probablement au dessus de la moyenne. Mais son intelligence affective et émotionnelle n’a certes jamais été évaluée. Cela compte si peu dans nos sociétés. Hélas…
Il était convaincu que la raison de vivre tient à cette représentation du bonheur inoculée par le Dieu maléfique du culte de la réussite, de la performance et de l’image. Guy Turcotte était beau, nanti, performant, perfectionniste, exigeant. Il ne supportait pas l’échec, la fêlure, le faux pli. Alors, un jour, quand la belle épouse est sortie de l’image, il n’a pas supporté ce trou dans son dessin d’enfant. Sa princesse, aimant un autre homme, tout s’est écroulé. Cela faisait de lui un homme ordinaire, imparfait, qui n’avait pas su être à la hauteur. Ce fut la fracture du Moi.
Il était si fort, si parfait, si suffisant, si plein de son invulnérabilité qu’il ne pouvait aller chercher de l’aide. Le faire eut été reconnaître, à temps, son humanité et son statut d’homme fragile.
Il dériva. Coula à pic. Son dessin d’enfant, désormais imparfait n’avait plus aucune valeur à ses yeux. Autant faire disparaître ce qui restait de plus emblématique de son rêve défait : ses enfants. Et il le fit, charcutant le dessin et le conte de fée avec lui.
Vous me pardonnerez la métaphore maladroite mais pour un homme comme Guy Turcotte, c’était tout ou rien. Il pensait Tout avoir. Il n’a plus rien. Ni personne. Il a tout effacé. Tout détruit. Tout tué.
Je crois que Guy Turcotte ne pouvait aimer sa femme ni ses enfants. C’était un déficient émotionnel. L’amour ne tue pas.