jocelyne robert

Lorsqu'on me demanda récemment quel était selon moi l'ingrédient-ciment d'une relation, j'ai répondu d'emblée, sans réfléchir : la complicité. Mais attention, me suis-je empressée d'ajouter, pas juste dans le couple! La complicité est un fil de dentelle rieur, précieux, entre les êtres humains. 

La complicité se tricote en tandem, une maille après l’autre

ll existe des complicités plus naturelles. L’amitié est souvent complice parce qu’elle repose sur le libre choix, sur des rapports d’égal à égal où l’on ne se juge pas, où l’on ne se préjuge pas. La relation grand-parent/petits-enfants favorise aussi la complicité pour la simple raison qu’elle s’articule autour du principe de plaisir.  Quand elle était petite, parfois, ma petite-fille me téléphonait et chuchotait :  « Mamie , il faudrait que tu parles à ta fille…  Elle est bien fatiguée.  Puis, quand elle est bien fatiguée, elle est bien  fatigante… »

Dans un contexte d’intimité amoureuse, la complicité se tricote en tandem, une maille après l’autre. Elle est un formidable ingrédient érotique.  Elle ne va pas de soi et a besoin de temps pour s’établir. Les auberges et centre de villégiature ont bien compris sa valeur en offrant  des  « forfaits complicité »  destinés aux couples et  aux familles.  En  vendant la complicité, on promet  l’entente, la collusion et l’harmonie sans effort.  Le client ciblé se laisse convaincre  qu’il lui faut sortir du quotidien, de la maison et de la routine pour trouver ou retrouver la complicité rêvée. 

Quand, dans un couple, les protagonistes perdent de vue la raison première qui les a réunis,  à savoir le partage du plaisir, la complicité  s’éclipse.  Les premières fois, elle file en douce un court moment. Elle fugue, puis revient. Mais un beau jour, si on ne la nourrit pas, elle quitte pour de bon. Les couples dont la relation se transforme au fil des ans, en tâches et devoirs à accomplir, ont perdu trace de leur complicité.  Pour le maintien du lien érotique et amoureux, elle est vitale.

On sent la complicité quand on se comprend d’un coup d’oeil. Lorsque circule entre les êtres, quelque chose qu'ils sont les seuls à percevoir.  

Ma blonde est si talentueuse dans l’art de fabriquer de la complicité qu’elle a transformé  sa jalousie en ingrédient érotique. Elle me reprochait toujours de regarder les femmes aux gros seins.  Moi, pour la faire rire, je rétorquais que c’étaient les gros seins des femmes qui m’aveuglaient et non pas les femmes aux gros seins!  Malgré mes traits d’humour, elle se fâchait et on finissait toujours par s’engueuler solide. Un jour, la coquine a radicalement changé. Elle s’est mise à me montrer les femmes aux gros seins, ou plutôt, les gros seins des femmes, avant même que je ne les aie aperçus, à commenter lascivement leur allure, leur fermeté, leur beauté, leur forme, leur texture… Résultat : elle me piège car je deviens si troublé par ses paroles et par sa sensualité à elle que j’en oublie complètement les nichons troublants de l'inconnue…  Non  seulement on ne s’engueule plus à cause de mon faible pour les poitrines féminines mais ces moments soudent notre connivence. On finit toujours par rire et par avoir une folle envie de se retrouver au lit.  Pascal, 42 ans

La complicité fuit les rapports d’autorité.

Voilà  pourquoi elle est absente des schémas où une personne est en situations de pouvoir sur une autre.

Un souvenir personnel. J’étais adolescente. Une période de ma vie au cours de laquelle mon père et moi on ne se parlait que pour s’engueuler. Je l’accompagnais néanmoins à la pêche régulièrement. Mon prétexte : c’était le seul endroit où je pouvais me faire rôtir au soleil, dans la chaloupe, pendant des heures…  Durant ces longues journées muettes (omerta du pêcheur oblige) à appâter les bestioles sur les hameçons, je sentais que mon père était fier de moi, sa fille, qui n’avait pas peur d’éventrer des vers de terre.  D'un signe diffus de ma part, il comprenait que je voulais me baigner et jetait l'ancre. Nous mangions nos sandwichs en silence et puis, ce sourire de béatitude quand ça mordait, lui qui souriait si rarement… Purs et impérissables moments de complicité. Le soir, je racontais aux copines que je m'étais faite suer avec mon vieux toute la journée alors qu'en réalité, j'avais baigné dans un bonheur complice et mon estime de moi avait gonflé les voiles .

Bien plus tard, après des années de travail auprès des adolescents, j'ai pris conscience que je parlais souvent  d’une complicité bien établie entre eux et moi.  Qu'est-ce qui me permettait d’affirmer cette qualité de lien? Le temps que nous nous sommes consacré, le partage de confidences et de choses qui nous étaient précieuses et qui nous touchaient et enfin, l’aspect émotionnel et confiant du lien. 

C'est comme s'il y avait, entre des personnes complices, une courroie de transmission qui leur soit propre. Une manière de se comprendre puis de se solidariser face aux tiers. Être complices ne signifie pas être le confident ou l’ami indéfectible. Un père n’est pas complice avec son fils parce qu’il fume un joint avec lui, ni une mère avec sa fille parce qu’elles portent  les mêmes vêtements. Utiliser le langage adolescent ou dormir avec son enfant ne créent pas, non plus, la complicité.

Routine et répétition ne sont pas que fauteuses de troubles et semeuses d'ennui!

Comment se crée la complicité? Par la répétition de moments en trois temps: a)  la présence et la disponibilité à l’autre b) le contact et la relation) c) l'émotion  et le jeu. Comme quoi, routine et répétiion ne sont pas que fauteuses de troubles et semeuses d'ennui!

Et ce qui est plus formidable encore c'est que la complicité, plus que toute autre qualité ou vertu relationnelle, crée de l'attachement, génère la solidarité dont nous avons tant besoin dans les épreuves et épisodes plus difficiles.

C'est mon premier billet de 2012.  Je vous souhaite une année toute tissée de complicité.  De solidarité. Je souhaite que ce blogue soit une plateforme d'échanges complices!

 

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Publié dans : Billet d'humeur ou d'humour, Couple, Famille, Femmes, Hommes, Sentiments et Émotions, Valeurs
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7 commentaires

  • Commentaire de Annik Desrosiers — 16 janvier 2012 à 21 h 46 min

    Il est vrai que l’aspect « complicité » est trop souvent oublié dans la relation de couple. En fait, notre société semble être complètement à l’envers puisqu’une trop grande majorité de couple utilisent la sexualité comme ciment de leur relation. La sexualité, comme la beauté se transformera au fil des ans. Autant courir après une jeunesse éternelle est futile, autant compter sur une sexualité frivole et passionnée comparable à celle des débuts de relation est garant de frustration et souvent même source de rupture.

    La complicité, comme un bon vin, ne fera que s’améliorer si elle évolue dans de bonnes conditions. Mais outre les trois temps nommé dans l’article, j’ajouterais également les rêves et les projets. Se projeter dans l’avenir, rêver à ce que l’on veut devenir, à ce que l’on fera demain, l’an prochain, à notre retraite, durant nos vieux jours.

  • Commentaire de Renée — 9 janvier 2012 à 10 h 24 min

    Dans La Presse, ce matin: « Fini les coeurs brisés; à l’ère des réseaux sociaux, l’amour avec un grand A s’est métamorphosé en amours passagers. »
    Pierre Desjardins, philosophe
    Qu’en pensez-vous, passeurs de blogs?

    « Éloge de la complicité ». Je dois avouer que j’ai déjà développé certaines complicités « amicales » sur les réseaux.Toutefois, vient un temps où dans des rapports d’amitié entre hommes et hommes que l’ambiguité s’installe.
    « Liaisons dangereuses »? à distance, moins dangereux

  • Commentaire de Claude Paquette — 8 janvier 2012 à 17 h 42 min

    Bonjour Jocelyne,

    Votre texte est un véritable éloge de la complicité qui exprime bien votre point de vue. Malheureusement, le mot complicité est souvent alambiqué car il a plusieurs sens selon qu’il est associé à la valeur honnêteté ou à la malhonnêteté. Il faudrait parler d’une complicité éthique ou morale afin d’éviter les ambiguïtés. Il faut aussi distinguer la complicité qui se développe sans nécessaire intimité et celle qui se fabrique dans un contexte d’intimité. Ce qui est le cas dans la vie d’une couple. C’est votre propos.
    Pour moi, il existe un triptyque essentiel pour « fabriquer » de la complicité dans un couple : confiance, considération et cohésion. Trois sentiments subjectifs conduisant à des valeurs fondamentales qui enrobent le couple complice : la loyauté, le respect mutuel et l’appartenance. On pourrait affirmer qu’un couple existe tant et aussi longtemps que ces trois sentiments et ces trois valeurs s’affichent et s’affirment dans les moments de grandes décisions et surtout dans le quotidien. Pour devenir une référence déterminante dans la vie du couple, ce socle de valeurs nécessite souvent un long apprentissage conduisant à des changements quelquefois en profondeur.
    Comment nommer l’axiologie du couple? Quelles sont les valeurs communes du couple et quelles sont ses tendances de vie? Quelle en est la cohérence? On a les mêmes valeurs n’est pas la même chose que d’avoir les mêmes intérêts… À mon sens, il n’y a pas de complicité sans une proximité des valeurs de l’un et de l’autre.

    Claude Paquette
    Axiologie : Science des valeurs. Partie de la philosophie. Les valeurs sont des références déterminantes pour la conduite d’une vie. Elles conduisent à la cohérence, à la cohésion et à la continuité. Pour un approfondissement personnel,voir le texte suivant paru dans la Revue Notre-Dame (Parle-moi de tes valeurs et je te dirai) :
    http://www.claudepaquette.qc.ca/4300-textes-en-lignes_f.html

  • Commentaire de Mario Bellavance — 8 janvier 2012 à 16 h 42 min

    Je désire vous féliciter Mme Robert pour votre premier billet de l’Année 2012 : Tout à fait dans le mille!!! La complicité est tout ce que j’ai recherchée depuis des années. Je l’ai trouvée occasionnellement chez des clients qui se faisaient complice d’un projet. Je faisais la maintenance d’équipements industriels et je jugeais qu’une relation de proximité avec le client était essentielle au succès de celui-ci. J’ai réussi à différents niveaux et j’en suis fier. Une chose à retenir avant tout : Des complices peuvent avoir d’autres objectifs que le vol, la fraude ou la corruption. La complicité dans le bien, c’est possible et c’est merveilleux.

    Merveilleux également que cette complicité qui se développe présentement avec mon partenaire d’affaires. Cela me fait espérer des sommets jamais atteints jusqu’ici. Merveilleuse aussi cette complicité d’un couple de retraités qui s’adonnaient à leur passion commune : la musique. Ils concoctaient ensemble des concerts pour la chorale qui se donnait généreusement en spectacle pour la collectivité, toujours réceptive…

    Que la complicité ait une saveur sexuelle la rend encore plus douce. Dans ce monde où la violence dans les couples fait malheureusement trop de victimes chez les femmes, parfois chez les enfants…, l’établissement d’une saine complicité dans le couple m’apparaît la clef d’une vie épanouïe.

    En 2012, que votre complicité se développe et s’approfondisse parmi vos lecteurs et vos lectrices!

  • Commentaire de mildred. — 8 janvier 2012 à 16 h 00 min

    Bonjour Mme Robert,
    Je suis resté bien étonner en consultant mon dico de lire que »complice »se définissait en premier comme un acte répréhensible,et qu’après seulement,venait l’entente profonde,spontanée,entre personnes,car je voyais depuis toujours la complicité comme un accord de connivence.Je la vis encore heureusement en ce moment avec une nouvelle personne que rien ne prédestinait à notre entente, excepté ce sentiment d’être compris dès la première phrase,même dans un cadre strictement d’affaire, mais pas de supériorité j’en conviens,ça n’existe pas.Pour moi c’est véritablement important que cette chose passe de temps en temps entre deux êtres,mais je n’en connais pas la source.

  • Commentaire de Isidore Wasungu — 7 janvier 2012 à 9 h 52 min

    Tiens, je peux maintenant laisser mon petit commentaire. Je disais tantôt que:
    Premier billet de 2012 bien tricoté à tel point qu'on croirait que c'est tellement facile pour vous. Et pourtant! Bonne et Heureuse 2012 à la hauteur de toutes vos attentes!
     

  • Commentaire de Renée — 6 janvier 2012 à 19 h 24 min

     
    Ces mots limitatifs amenant un discours réducteur : respect, confiance, complicité. Toujours se resituer dans la relativité, ce que Nietzsche  présente comme « Renverser les perspectives «  .
    Le respect est nuisible à la création, la confiance n’est pas une situation de permanence, elle vacille;  la complicité se vit dans le partage et le départage. Je ne voudrais pas être la complice d’un voleur ou d’un meurtrier.
    Être complice sans trop de complication, pas facile.
    La complice solitaire menait sa barque, payait ses déplacements  et avait atteint  la retraite. Bonne complicité que celle du temps libre à rembourrer.  Douillet comme l’oreiller de tous les soirs.
    Elle se disait à certains jours que la complicité lui faisait peur, sauf aux heures de partage.
    Je repensai  à toutes ces choses que je n’ai pas voulu partager…mon ptit set de vaisselle, cadeau que je refusais de partager avec mon frère.  Ma mère me disait « Partage tes jouets »
    Mes vêtements que ma sœur me volaient sans me demander la permission. Ma mère me disait « Prête tes vêtements »
    Un amoureux qui avait une amoureuse platonique, genre sainte nitouche. Je ne souhaitais pas qu’il ait l’air d’un Platon.  Moins pire  ou pire, l’amoureux quotidien qui aimait les contes  « potoérotique ».
    Je ne suis pas complice à temps plein…Je deviens lente, je regarde le  grand écran quand la télévision est fermée. Complice de la tranquillité.
     

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