jocelyne robert

"Si on en veut aux gens qui se suicident, c'est parce qu'ils ont le dernier mot"  Nelly Arcan

Avant-hier. Vu au théâtre, "Fille du paradis", pièce adaptée de Putain de Nelly Arcan. C'était la dernière représentation au petit théâtre de l'Essaïon. J'ai appris le tenue de ce spectacle par hasard, via Twitter ( merci Marilyn Bastien! ). Étant de passage à Paris, j'ai été prise d'un irrépressible désir de renouer avec la flamboyante écrivaine. Aussi, d'assouvir ma curiosité d'une  perception autre, non québécoise, de cette femme de paradoxes.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Pendant 3 600 secondes, j'ai été à la fois secouée et paralysée, éblouie, suspendue aux lèvres, à la voix et à la sensibilité de Véronique Sacri qui dit Arcan avec une pureté saisissante. Sans flafla, sans artifices, sans cosmétiques. Merci au metteur en scène Ahmed Madani pour ce moment de grâce, unique et bouleversant. Un spectacle lumineux, d'une lumière vacillante comme celle d'une chandelle, et qui coupe le souffle durant un long et lancinant moment de vérité, bien après la levée du rideau. 

À la fin, le metteur en scène, du  fond de la salle, a remercié le théâtre de l'Essaïon qui a "été le seul à vouloir accueillir" cette  oeuvre. Je ne sais pas si cette pièce sera reprise en France, au Québec ou ailleurs. Si oui, il faut y aller. Pour se souvenir. Pour comprendre.

Pour continuer d'entendre les mots acérés de Nelly, le mieux est encore de la lire. Je voudrais parler d'elle. Mais je ne saurais  trouver de mots plus justes que ceux de Madani dans le programme de la pièce. Alors, je retransmets sa parole. Et sa compréhension.

Une femme qui a senti avec en elle la douleur de millions d'autres et qui a osé écrire avec sa chair, avec son sexe, avec sa peau, écrire sa douleur, écrire sa haine, écrire sa colère.  Ses seins refaits, ses lèvres redessinées, ses joues remoulées, son visage, sa beauté, c'est là que commence l'écriture de cet écrivain auteur de sa vie, une écriture au scalpel qui trace dans sa propre chair ce que sera son destin.

Nelly Arcan est une étoile filant à une telle vitesse que peu de gens l'ont vue. C'est seulement maintenant que l'on mesure à quel point son oeuvre est contemporaine, à quel point elle est pertinente et décrit avec justesse le malaise de notre civilisation (…)

Le sujet central de son écriture est l'image du corps de la femme et cette image s'avère intimement liée à la marchandisation de ce corps. La question de l'usage de la beauté des femmes comme moyen de domination des hommes ne date pas d'aujourd'hui.  Mais avec la marchandisation de plus en plus effrénée qui transforme les sujets en objets, Nelly Arcan pointe combien la sexualité est au coeur de la violence même du libéralisme économique et du radicalisme religieux, les deux dictatures de ce XXIe siècle. (…)

Il faut être plus belle que belle, plus femme que femme, apparaître comme un sexe ouvert, toujours prêt à l'emploi, que ce soit dans le réel ou dans le fantasme. Toute femme se développant durant toute sa vie comme objet de consommation, se doit de rester une denrée fraîche et toujours appétissante, toujours soumise au regard du client potentiel qui la contemple sur l'étal de l'espace public et privé . (…) 

Voilà le terrible scandale que dénonce Nelly Arcan. (…)

Vous pouvez lire aussi

Nelly décroche  et Nancy Huston vs Guy A Lepage via Nelly Arcan

 

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Publié dans : Arts et spectacles, Corps, Culture et Société, Femmes, Hommes
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8 commentaires

  • Ping de Fille du Paradis « Véronique Sacri — 2 mars 2012 à 10 h 03 min

    […] http://jocelynerobert.com/2012/01/19/fille-du-paradis-nelly-arcan/ J'aimeJ'aime  […]

  • Commentaire de Jocelyne Robert — 25 janvier 2012 à 18 h 25 min

    Merci pour vos commentaires si touchants et si « habités ».
    Vrai que nous connaissons tous, je crois bien, quelqu’un qui s’est suicidé. C’est terrible.

    Pas facile de trouver les mots pour aider une personne suicidaire. Je le sais pour avoir pas mal travaillé auprès d’ados qui avaient semblables pensées, qui avaient, parfois, fait des tentatives.

    Lorsqu’ils me disaient vouloir mourir pour cesser de souffrir, parce que « ce sera mieux de l’autre bord », je leur répondais: « Qu’en sais-tu?
    Comment peux-tu savoir que ce sera mieux? Quelqu’un est venu te le dire? Et si ça n’était pas mieux? » .

    Ce genre de répliques étaient les plus efficaces. Bien plus efficaces que toutes autres. Elles leur faisaient, je crois bien, douter tout à coup que le suicide était la meilleure solution…

  • Commentaire de Mario Bellavance — 25 janvier 2012 à 18 h 12 min

    Mes sympathies Renée devant le choc que représente pour vous l’annonce du décès d’une amie chère… Je vous remercie pour votre reconnaissance à mon égard. Le suicide nous touche tellement de près que nous pouvons nommer parfois plusieurs personnes autour de nous qui se sont suicidées. Pour un ami,il y a quelques années, ce fut ses deux fils qui se sont suicidés à un an d’intervalle. Vous comprendrez ma sensibilité sur le sujet.
    Quant à la prétention que les gens qui se suicident aient le dernier mot, si c’était vrai? Si la personne qui recourt au suicide pouvait être la dernière à le faire? Wow! Force est de reconnaître cependant que ce n’est pas le cas et qu’il est préférable de continuer à parler et demander de l’aide plutôt que de se taire pour toujours…
    En ce qui concerne le sujet du billet, je souhaite que la pièce de théâtre Fille du paradis soit jouée au Québec. Les mots de Jocelyne et ceux du metteur en scène parlent suffisamment pour qu’une personne ou mieux un groupe de personnes liées au théâtre fassent en sorte que cette pièce soit jouée sur la terre natale de celle qui l’a inspirée. L’oeuvre Putain parle tellement pour laisser à son auteure le dernier mot. La prévention, c’est aussi cela!!!

  • Commentaire de Renée — 25 janvier 2012 à 11 h 58 min

    « Semaine nationale de prévention du suicide ». Merci à Mario pour le lien.
    Quand ma fille a fait sa tentative en déc.2010, j’aurais eu besoin d’en parler en tant que parent; ma fille se faisant silencieuse.
    Aujourd’hui dans La Presse, nécrologie, l’annonce du décès d’une amie chère…51 ans , Chantale. On ne précise pas la cause. On demande de faire des dons aux éditions « Les impatients », Liber.
    J’ai commencé à lire « De l’art cuit à l’art cru ».

  • Commentaire de Isidore Wasungu — 22 janvier 2012 à 20 h 09 min

    Ô Nelly Arcand, « Fille du Paradis »! Quoi dire? Tu nous pousse tellement à la réflexion! Tu nous bouscules et nous sommes complètement retournés et bouleversés! Puisses-tu reposer en paix!!!
    Madame Robert, merci pour ce témoignage inédit.

  • Commentaire de Renée — 22 janvier 2012 à 18 h 22 min

    « Fille du paradis » pièce adaptée de « Putain »
    Je ne connais pas ces textes, ni Nelly Arcand. Le peu que j’en ai lu me faisait sembler à de l’érotisme au féminin servi au masculin.
    Le suicide , le dernier mot.
    J’ai rien contre. Le repos éternel sans réincarnation, ça revient au même.
    J’ai connu deux femmes dans mon entourage qui ont été suicidaires. L’une de 29 ans a survécu…c’est son prochain mot. L’autre de 50 ans a fini par avoir le dernier mot. C’était un prof de math au Collège privé….un corps jeune comme si elle avait 20 ans. Elle en était fière. Difficile avec elle d’aborder une conversation sérieuse ou intime, elle était toujours dans la contemplimentation ou la complaisance.
    « Soleil vert »

  • Commentaire de Jocelyne Robert — 19 janvier 2012 à 18 h 17 min

    On est d’accord.

  • Commentaire de Mario Bellavance — 19 janvier 2012 à 17 h 20 min

    Je serai bref. Devant le vide que crée la mort d’une personnalité complexe commme Nelly Arcan, devant le départ récent de la p’tite Marjorie, devant la peine qu’entraînent trop de décès prématurés,sans culpabiliser personne, le suicide n’est pas une option. Du 5 au 11 février prochain se tiendra la semaine nationale de prévention du suicide http://www.aqps.info/semaine/

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