jocelyne robert

Comme promis, j'écris ce billet en réponse à la lettre d'une enseignante publiée dans l'article précédent : À 10 ans ils veulent vivre leur amour… 

Ce qui me frappe dans cette lettre, c'est la perte et le besoin de repères.  De partout, depuis quelques années, fuse cette question: où sont passés nos repères?  Que l'on soit enseignant, intervenant-e psycho-social auprès d'ados en difficultés, psychologues, travailleuses dans les problématiques de la violence sexuelle et amoureuse, on cherche à retrouver des balises qui  semblent s'être volatilisées.  

En même temps que me parvenait cette lettre de Mylène, je recevais une invitation pour aller donner une conférence lors d'un grand colloque qui réunira la vaste communauté des intervenant-es psycho-sociaux en juin prochain, à Trois-Rivières. "SVP, on voudrait que vous nous parliez des repères. Même nos psys seniors  se demandent où ils sont passés et ne savent plus trop comment travailler efficacement auprès de leur clientèle."  

Ma difficulté, et elle n'est pas des moindres, c'est que je fais partie moi aussi de cette société en perte de repères et de balises. Je n'ai ni solution miracle, ni baguette magique, ni recette toute faite. Mais je suis hyper consciente de la problématique et j'ai envie d'y réfléchir avec vous. 

Qu'est-ce qu'un repère?

C'est une zone de référence. Un cadre.  Ce sont des balises qui permettent de se retrouver, de s'orienter, de comprendre, d'avancer. Nous en avons besoin. Sans repères, nous sommes déstabilisés.

Un exemple tout simple: je sais ce qui jalonne le chemin pour rentrer chez moi, du métro le plus proche jusqu'à ma maison. Si demain, mes repères disparaissent ( le parc, le concessionnaire automobile, le supermarché, les grands pins, l'arrêt de bus etc.), j'aurai grand peine à me retrouver et serai déstabilisée voire perdue. J'aurai besoin de me construire d'autres repères. Et qu'on m'aide à le faire. Les repères sont rassurants et nécessaires au développement, à l'apprentissage, à la vie en société. 

Nous savons tous que le monde s'est formidablement transformé depuis une vingtaine d'années. Et que nous n'avons pas eu le temps de voir venir  les changements. Nous y avons été propulsés, sans préparation. Alors, que faire avec tous ces comportements nouveaux qui nous mettent mal à l'aise ou qu'on ne sait trop par quel bout prendre? Entrons dans le vif des préoccupations de Mylène.

Les manifestations amoureuses

Pour moi, pas question de "bannir" les gestes affectueux entre enfants. Mais de rappeler aux enfants, avec aplomb, que ceux-ci sont personnels et intimistes et réservés aux lieux privés. Énoncer clairement que l'école n'est pas le lieu des  débordements amoureux. Bien sûr, dans l'idéal, une personne compétente devrait pouvoir expliquer aux enfants le bien-fondé et la "normalité" de l'attrait amoureux et sensuel, les rassurer à cet égard. Leur apprendre les notions de partage, de consentement, de liberté bien ancrées dans des valeurs humaines et humanistes.  Il ne faut pas hésiter non plus à expliquer que les effusions amoureuses, belles et permissibles, peuvent être perturbantes dans un groupe en situation d'apprentissage.

Les peines d'amour

Les peines d'amour chez les enfants, rien là de nouveau!   Francesco Alberoni dit que le premier chagrin d'amour survient à 3 ans  — Ah! ces Italiens ! Ce qui est différent c'est que le chagrin d'amour, comme l'amour,  s'étale et s'exhibe davantage. J'avoue que cela me semble plutôt sain. Occasion en or pour l'enseignante d'expliquer le chagrin amoureux, le sentiment de rejet, de rassurer, de permettre aux enfants d'échanger à cet égard, de s'exprimer, de mettre en commun leurs préoccupations. Mettre des mots sur la souffrance permet de commencer à la liquider. 

Mylène écrivait qu'à son école on "a banni les gestes d'affection tels que accolades, se tenir la main, s'assoir collé…" Attention, s'il est nécessaire de mettre des balises, il faut veiller à ne pas réprouver les marques d'affections qui ne sont pas trop intimistes ou perturbantes et surtout, ne pas "bannir" les élans de solidarité. La classe est, bien sûr, un lieu d'éducation et d'acquisitions de savoirs mais elle est aussi un milieu de vie. Il n'est pas sans conséquence de juguler  les mouvements de vie.

La frustration

Mylène, enseignante en 5e année,  dit aussi avoir " cherché un peu partout sur internet, sans succès, comment gérer les comportements amoureux à l'école primaire"  Les émotions et affects ne se "gèrent" pas aisément. Au mieux faut-il reconnaître leur existence, permettre leurs expressions tout en ne les laissant pas envahier tout l'espace scolaire. Je crois qu'une école, et n'importe quel lieu qui regroupe des enfants en situation d'apprentissages et de développement (même un CPE) aurait intérêt à se donner une philosophie institutionnelle, à permettre la mise en commun des préoccupations de chaque acteur de la communauté, à énoncer clairement ses limites et ses ouvertures, à décliner  ses valeurs et ce qu'elle permet ou ne permet pas . De  sorte que l'enseignant-e ne fonctionne pas à la pièce et à la petite semaines et sente supporté-e par son milieu. 

Tout cela, tout ce dont on vient de parler constitue de l'éducation à la sexualité et à l'affectivité. Pour moi, elles sont indissociables. Évidemment, pendant que l'enseignante "récupère" la peine d'amour d'une telle dans la salle de toilette, elle ne fait pas de mathématiques… C'est pour cette raison qu'un-e sexologue-éducatrice serait si nécessaire dans le mileu scolaire.  Pour encadrer tout cela, aider, soutenir, guider, informer, dédramatiser, mettre les choses en perspective, accompagner…

En attendant , il faut dire aux amoureux de l'école primaire qu'ils ne sont ni seuls au monde, ni seuls à l'école primaire! 🙂

 

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Publié dans : Amour, Culture et Société, Éducation, Éducation sexuelle, Enfance et Adolescence
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5 commentaires

  • Commentaire de Renée — 19 février 2012 à 19 h 41 min

    Je ne peux parler de ce que je ne connais pas.
    Je n’ai pas été enseignante au primaire et n’aurais pas voulu l’être.
    Les enfants ont vu les téléréalités.
    Reféminisation des fillettes permettant aux garçons de devenir des « chevaliers », comme ils disent au primaire. Le vrai langage , c’est d’avoir des militaires pour le Kanada

    Les enfants vont s’aimer entre eux: pedos philos…l’amour des enfants. ( du grec)
    En histoire de l’art, les portraitistes d’enfants sont apparus au XVIIIe s., à une période où on s’est intéressé à l’instinct et le sensationalime . Voir les peintures de Gainsborough, Reynolds ou Chardin. Idéaliser la beauté de l’enfant sans considération pour la « pédagogie ». C’était l’ancien temps.
    Youk

  • Commentaire de Diane Duval — 17 février 2012 à 13 h 25 min

    aucun repère, dites-vous Mme Robert? Mais nous avons pour certains l’exemple de nos parents qui pour ma part le démontrait avec des mots et gestes tendres qu’ils nous donnaient à nous aussi.
    Et nous sommes assez conscients que l’amour est un besoin primaire, mais que comme parents et éducateurs, nous nous devons d’en donner à profusion à nos enfants et le genre d’amour qu’ils sont « prêts » à recevoir et à donner!

    Depuis notre tendre enfance,surtout à l’école, nous avons entendu des choses négatives à propos de la sexualité, que c’était mal, on avait donc peur.
    Aujourd’hui on entend ou voit dans l’amour que de la sexualité qui montre à nos jeunes le contraire de l’amour, voir l’horreur au cinéma, à la télé.,dans l’art,sans tendresse ni respect! Nos enfants pensent que c’est cela l’amour!! Je ne veux pas revenir en arrière, mais aimer c’est pour nos jeunes être près de quelqu’un et d’être bien! Les pulsions sexuelles à 8 ans ne sont que ce qu’ils voient à la télé. Soyons vigilants comme parents ou grand-parents et donnons-leur l’amour qu’ils ont besoin, intéressons-les à plusieurs choses comme la générosité, la compassion, le respect et reconnaître le beau et bien en toute chose.
    Ils feront des gens équilibrés et à l’écoute des autres,autant en amitié, en amour et au bon moment dans leurs relations sexuelles harmonieuses. Pensons aux jeunes, qui vivent beaucoup de chose et qui eux manquent parfois de repère; aimons-les, ils en ont bien besoin.

  • Commentaire de Isidore Wasungu — 17 février 2012 à 8 h 54 min

    Vous avez su faire le tour d’un sujet à mon avis fort complexe et nous en avons beaucoup appris. Mme Robert, savez-vous SI plusieurs écoles disposent d' »un-e sexologue-éducatrice serait si nécessaire dans le mileu scolaire »?

    Je vous souhaite une excellente conférence lors de votre colloque de juin.

    Passez une belle journée!

  • Commentaire de Josee — 17 février 2012 à 7 h 16 min

    Ah, Jocelyne, comme j’avais hâte de lire votre réponse à la lettre de Mylène!… Vous exprimez exactement ce qu’apparemment je n’ai pas su exprimer dans mon commentaire…
    J’enseigne au secondaire, mais je ne suis pas coupée du reste du monde. Je vis en société, j’ai de jeunes enfants qui fréquentent le primaire, je m’implique à l’école primaire… Je suis au courant des problèmes actuels. Ils ne sont pas si actuels que ça, ils datent d’un peu plus loin. Il y a 9 ans, ma nièce me confiait qu’elle n’aimait pas untel puisqu’il se faisait faire des pipes dans la cour d’école primaire par des petites putes bien connues! Ce sont ses mots. Quand je lui ai demandé ce qu’était une pipe, la demoiselle de 8 ans m’en a fait une description assez élaborée merci… Je comprends la problématique, mais, en même temps, tout en se donnant des balises claires, je crois comme vous qu’il ne faut pas juguler les gestes respectueux de vie. Je vais dans votre sens aussi quand vous parlez du besoin d’une personne dans les écoles qui s’occuperait de cet aspect puisqu’une école est aussi un lieu d’éducation. Je comprends aussi que certaines écoles sont très petites et que les ressources manquent. Mieux former les enseignants, des activités pour les jeunes dans ce sens seraient nécessaires. S’asseoir entre nous et en jaser enfin…

  • Commentaire de Mario Bellavance — 16 février 2012 à 20 h 20 min

    Parlant de la lettre d’une enseignante du niveau primaire, vous écrivez Mme Robert : « Ce qui me frappe dans cette lettre, c’est la perte et le besoin de repères. » Aussi, en rapport avec le sujet abordé, l’amour à l’école primaire, est-ce un aveu que les enfants placent les adultes face à leur propre manque?
    Prenant un fait d’actualité qui me touche particulièrement puisqu’il s’est passé pas très loin de chez moi, voici un enseignant du primaire qui biffe la dernière ligne de la chanson classique d’Édith Piaf, l’Hymne à l’amour, « Dieu réunit ceux qui s’aiment », parce qu’il y est fait référence à Dieu. Vous écrivez plus loin : « une école, et n’importe quel lieu qui regroupe des enfants en situation d’apprentissages et de développement (même un CPE) aurait intérêt à… décliner ses valeurs et ce qu’elle permet ou ne permet pas. De sorte que l’enseignant-e ne fonctionne pas à la pièce et à la petite semaine et sente supporté-e par son milieu. » À qui le dites-vous? Propulsé à la une de l’actualité et pointé du doigt à l’Assemblée nationale, cet enseignant a intérêt d’être supporté par son milieu…
    C’est vrai cet enseignant s’est montré incapable de traiter de Dieu avec ses élèves. Par contre, plus de 60 ans après l’écriture de la chanson « L’hymne à l’amour », en biffant une référence à Dieu, cet enseignant ajoute un nouveau chapitre à l’histoire de cette chanson : « On peut ignorer Dieu mais pas l’amour. Attention si vous connaissez l’amour, le vrai, il se peut que vous connaissiez Dieu aussi. Et surtout n’oubliez pas de chanter : Dieu réunit ceux qui s’aiment. N’est-ce pas là la plus belle vision de l’Amour, du paradis? »

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