Comme promis, j'écris ce billet en réponse à la lettre d'une enseignante publiée dans l'article précédent : À 10 ans ils veulent vivre leur amour…
Ce qui me frappe dans cette lettre, c'est la perte et le besoin de repères. De partout, depuis quelques années, fuse cette question: où sont passés nos repères? Que l'on soit enseignant, intervenant-e psycho-social auprès d'ados en difficultés, psychologues, travailleuses dans les problématiques de la violence sexuelle et amoureuse, on cherche à retrouver des balises qui semblent s'être volatilisées.
En même temps que me parvenait cette lettre de Mylène, je recevais une invitation pour aller donner une conférence lors d'un grand colloque qui réunira la vaste communauté des intervenant-es psycho-sociaux en juin prochain, à Trois-Rivières. "SVP, on voudrait que vous nous parliez des repères. Même nos psys seniors se demandent où ils sont passés et ne savent plus trop comment travailler efficacement auprès de leur clientèle."
Ma difficulté, et elle n'est pas des moindres, c'est que je fais partie moi aussi de cette société en perte de repères et de balises. Je n'ai ni solution miracle, ni baguette magique, ni recette toute faite. Mais je suis hyper consciente de la problématique et j'ai envie d'y réfléchir avec vous.
Qu'est-ce qu'un repère?
C'est une zone de référence. Un cadre. Ce sont des balises qui permettent de se retrouver, de s'orienter, de comprendre, d'avancer. Nous en avons besoin. Sans repères, nous sommes déstabilisés.
Un exemple tout simple: je sais ce qui jalonne le chemin pour rentrer chez moi, du métro le plus proche jusqu'à ma maison. Si demain, mes repères disparaissent ( le parc, le concessionnaire automobile, le supermarché, les grands pins, l'arrêt de bus etc.), j'aurai grand peine à me retrouver et serai déstabilisée voire perdue. J'aurai besoin de me construire d'autres repères. Et qu'on m'aide à le faire. Les repères sont rassurants et nécessaires au développement, à l'apprentissage, à la vie en société.
Nous savons tous que le monde s'est formidablement transformé depuis une vingtaine d'années. Et que nous n'avons pas eu le temps de voir venir les changements. Nous y avons été propulsés, sans préparation. Alors, que faire avec tous ces comportements nouveaux qui nous mettent mal à l'aise ou qu'on ne sait trop par quel bout prendre? Entrons dans le vif des préoccupations de Mylène.
Les manifestations amoureuses
Pour moi, pas question de "bannir" les gestes affectueux entre enfants. Mais de rappeler aux enfants, avec aplomb, que ceux-ci sont personnels et intimistes et réservés aux lieux privés. Énoncer clairement que l'école n'est pas le lieu des débordements amoureux. Bien sûr, dans l'idéal, une personne compétente devrait pouvoir expliquer aux enfants le bien-fondé et la "normalité" de l'attrait amoureux et sensuel, les rassurer à cet égard. Leur apprendre les notions de partage, de consentement, de liberté bien ancrées dans des valeurs humaines et humanistes. Il ne faut pas hésiter non plus à expliquer que les effusions amoureuses, belles et permissibles, peuvent être perturbantes dans un groupe en situation d'apprentissage.
Les peines d'amour
Les peines d'amour chez les enfants, rien là de nouveau! Francesco Alberoni dit que le premier chagrin d'amour survient à 3 ans — Ah! ces Italiens ! Ce qui est différent c'est que le chagrin d'amour, comme l'amour, s'étale et s'exhibe davantage. J'avoue que cela me semble plutôt sain. Occasion en or pour l'enseignante d'expliquer le chagrin amoureux, le sentiment de rejet, de rassurer, de permettre aux enfants d'échanger à cet égard, de s'exprimer, de mettre en commun leurs préoccupations. Mettre des mots sur la souffrance permet de commencer à la liquider.
Mylène écrivait qu'à son école on "a banni les gestes d'affection tels que accolades, se tenir la main, s'assoir collé…" Attention, s'il est nécessaire de mettre des balises, il faut veiller à ne pas réprouver les marques d'affections qui ne sont pas trop intimistes ou perturbantes et surtout, ne pas "bannir" les élans de solidarité. La classe est, bien sûr, un lieu d'éducation et d'acquisitions de savoirs mais elle est aussi un milieu de vie. Il n'est pas sans conséquence de juguler les mouvements de vie.
La frustration
Mylène, enseignante en 5e année, dit aussi avoir " cherché un peu partout sur internet, sans succès, comment gérer les comportements amoureux à l'école primaire" Les émotions et affects ne se "gèrent" pas aisément. Au mieux faut-il reconnaître leur existence, permettre leurs expressions tout en ne les laissant pas envahier tout l'espace scolaire. Je crois qu'une école, et n'importe quel lieu qui regroupe des enfants en situation d'apprentissages et de développement (même un CPE) aurait intérêt à se donner une philosophie institutionnelle, à permettre la mise en commun des préoccupations de chaque acteur de la communauté, à énoncer clairement ses limites et ses ouvertures, à décliner ses valeurs et ce qu'elle permet ou ne permet pas . De sorte que l'enseignant-e ne fonctionne pas à la pièce et à la petite semaines et sente supporté-e par son milieu.
Tout cela, tout ce dont on vient de parler constitue de l'éducation à la sexualité et à l'affectivité. Pour moi, elles sont indissociables. Évidemment, pendant que l'enseignante "récupère" la peine d'amour d'une telle dans la salle de toilette, elle ne fait pas de mathématiques… C'est pour cette raison qu'un-e sexologue-éducatrice serait si nécessaire dans le mileu scolaire. Pour encadrer tout cela, aider, soutenir, guider, informer, dédramatiser, mettre les choses en perspective, accompagner…
En attendant , il faut dire aux amoureux de l'école primaire qu'ils ne sont ni seuls au monde, ni seuls à l'école primaire! 🙂