Le scandale des mauvais traitements réservés aux vieux, dans les CHSLD ou autres parkings de pépés et mémés, nous met hors de nous et nous indigne. Et pourtant…
Et pourtant, en dehors de ces situations intolérables et grossières qui viennent entacher notre regard et déranger notre tranquillité, la vieillesse nous insupporte. Plus elle est cachée et invisible, mieux on se porte.
Avez-vous vu cette pub de la Banque TD qui nous montre, sans coup férir, ces deux vieux grognons qui radotent sur le bon vieux temps, vissés sur leur banc ? On les traite comme des attardés oisifs malgré leur évidente santé physique et mentale dont ils ne savent que faire. Il paraît qu’elle plaît en plus cette pub!
Et celle de Artic garden légumes congelés qui fait apparaître dans les murs et les tables, des bouts de corps fantomatiques d’aïeules qui viennent empoisonner la vie de leur héritiers et héritières en tricotant…. ?
Comme si la vie ne valait la peine d'être vécue qu'en bandant comme à 20 ans
Et ces indicibles messages publicitaires pour le viagra et autres « remontants » qui nous enfoncent dans la tête l’idée que la vie ne vaut la peine d’être vécue qu’en bandant comme à 20 ans ? Quitte à ce que cette bandaison soit pur subterfuge sinon pur supplice…
Que dire de ces vieilles stars aux Oscars, visage de poupée de cire et corps « bimbofiés » peinant à se tenir sur leurs jambes arthrosiques campées sur talons aiguilles ? Que voulez-vous, la chirurgie des nouvelles jambes n’est pas encore tout à fait à point. Mais oui, elles s’infligent tous ces outrages parce qu’elles n’ont pas le choix, « l’industrie » oblige.
Il y a deux ans, j’ai publié un livre sur les femmes vieillissantes, cinquantaine et plus, mettons. Pas question qu’il y ait dans le titre de ce livre les mots vieilles, vieillir ou vieillissement, m’a-t-on dit. Mots tabous entre tous. « Un titre qui comprend un dérivé de vieillir est repoussant. Invendable. Tu veux passer tes idées oui ou non ? »
Les vieux et vieilles, « normaux » et en santé, ne sont pas regardables alors, imaginons les vieux malades, fragilisés, incontinents, dépendants, édentés. Comment voulez-vous qu’on ne les oublie pas dans leurs couches souillées ?
C'est de l'auto-détestation
Les vieux se détestent et nous détestons les vieux. C’est de l’auto-détestation. Nous ne supportons pas la vieillesse. Parce que nous ne supportons pas notre propre mortalité, notre propre finitude, notre déchéance imminente. En nous aveuglant devant la vieillesse on nourrit l’illusion de notre propre éternelle jeunesse.
Ça n’est certes pas un hasard si la VIEillesse est la seule période de l’existence qui comprend la particule vie ! Il faut rappeler sans cesse que les êtres humains que regroupe cette période de l’existence sont toujours vivants. L’enfance, l’adolescence, la maturité, l’âge adulte n’ont pas besoin d’appellation qui confirme leur vitalité.
J’avance sur le chemin de l’aînesse. On commence à me concocter des petits plats de compliments assaisonnés de l’adverbe encore : « Oh que vous faites jeune encore ! Ah Que vous êtes encore belle ! Hé ! que vous êtes encore bien conservée » Ben oui s’tie, je suis « encore » vivante.
Le "Oh ! Qu’elle a encore toute sa tête ! " ne devrait plus tarder. À condition que je la conserve. Cette tête.
J’avance sur le chemin de l’aînesse. J’ai peur. Qui veut m’échanger mon droit d’aînesse contre un plat de lentilles ?
Cet article a été publié dans le journal La Presse sous le titre Une vieillesse insupportable