Certains croient que le charisme consiste tout au plus à une rencontre entre une personne éloquente et un thème porteur, dans une situation propice. Pour ma part, je le définis comme la fascination qu’exercent certaines personnes sur les autres, indépendamment que l’on partage ou non leurs idées. La personne charismatique magnétise.
Le sujet du charisme me trottait dans la tête. La campagne électorale et en particulier Pauline Marois me fournissent prétexte à ce billet.
Hier, j’entendais des femmes discuter de politique avec un candidat aux élections dans leur comté. L’une d’elles lui disait :« Vous perdez votre temps, nous, on n’aime pas la Marois mais on est PQ et on vote PQ. »
Pour toutes sortes de raisons, parfois obscures et qui n’ont rien à voir avec l’idéologie politique, plusieurs n’aiment pas Pauline Marois. Combien de fois ai-je entendu : « Malgré toutes ses forces, elle ne passe pas." "Elle n’a pas de charisme. » Sans compter les sempiternelles reproches sur sa froideur et attitudes hautaines. Mettons de côté le fait que pour certains, même inconsciemment, une femme ne passe jamais la rampe, et tentons d’y comprendre quelque chose.
Pas de charisme sans une certaine désinvolture
Le charisme, il faut le reconnaître d’emblée, les femmes en sont moins pourvues que les hommes. Le reconnaître n’est ni féministe ni antiféministe, c’est un fait. Mais attention, c’est un fait de culture. Cela n’est pas inné ou congénital mais pur résultat de la culture, de l’éducation, de l’environnement. Et pourquoi les femmes en seraient-elles plus dénuées? Parce qu’on ne peut pas être charismatique sans une certaine désinvolture et que la désinvolture est interdite à la femme. À fortiori à la femme politique. Chez elle, désinvolture est perçue comme inconvenance.
Le préjugé culturel est si efficace que la femme elle-même finit par croire que la désinvolture ferait d’elle une femme "légère" et l’éloignerait de sa capacité à tenir un rôle de premier plan. Tant et si bien qu’en politique, les femmes se sentent obligées de se draper dans une robe de plomb. Il me semble, plus encore depuis que j’ai lu le dossier que le magazine l’Actualité publie de Pauline Marois, que là réside sa principale faiblesse.
Si Pauline Marois est rieuse, sensible, touchante et susceptible d’être touchée et de s’émouvoir et bien, pour jouer son rôle de future première ministre, elle le cache bien. Trop bien. Et elle a tort. Je crois, hélas, que c’est ce qui lui nuit, et lui nuira encore.
Le charisme n'est pas un vernis plaqué
Attention, le charisme n’est pas quelque chose dont on peut s’asperger. Je ne crois pas du tout aux fabricants d’images charismatiques, aux vendeurs de techniques de séduction, aux marchands de relookage, aux conseils de type « Ne croisez pas vos bras ! », « Ne baissez pas le menton! » et autres fadaises. J’estime au contraire que plus on est soi-même, plus on risque de toucher et de séduire. Séduire, dans le sens noble du terme.
Là, je sais que je vais vous servir un exemple rabâché mais n’est-ce pas, outre son talent et son intelligence, n’est-ce pas son humanité et ses faiblesse, ses tics et ses fringues froissées qui ont donné tant de charisme à René Lévesque? Même chose pour son opposé et adversaire Pierre Elliot Trudeau. Ce sont ses dérapages, son impertinence, ses steppettes et ses sorties de rang qui lui ont valu la trudeaumanie. Que dire de la passion, des excès et des envolées de Pierre Bourgault qui faisaient de lui un personnage un peu insolent et si magique ? On peut respecter et admirer les personnes infroissables. Elles nous émeuvent rarement. Dans la sphère publique et politique cela peut faire une sacrée différence. Cela peut faire LA différence.
Je sais bien que Pauline Marois doit continuer à revêtir un « uniforme de future première ministre ». Je propose, en toute modestie, qu’elle y mette moins d’amidon, qu’elle le laisse ramollir un brin. Ou mieux encore, qu’elle le troque pour un autre dont la fibre serait plus mouvante, plus transparente, laissant entrevoir le cœur qui bat, autant que la raison qui pense.
J’ai croisé une Pauline Marois pleine de charisme. Et une Pauline Marois sans nul charisme
J'ai croisé Madame Marois deux fois. Une première fois, en 1996, alors qu’elle était Ministre de l’Éducation et qu’elle visitait la Maison de Jonathan où j'aidais de jeunes décrocheurs à raccrocher à la vie — et éventuellement à l'école. Je ne sais trop pourquoi (atmosphère régnant dans ce lieu ou présence de ces multipuckés si attachants…) elle avait, de toute évidence, laissé son costume ministériel sur le perron. Toutes les personnes sur place, jeunes et moins jeunes, eurent le sentiment d’être importantes aux yeux de cette femme détendue et lumineuse. Toutes auraient pu être tentées de la suivre, de la porter. Elle n’était pas « en représentation », elle était pleine de charisme.
La seconde fois, c’était en 2007, lors de l’événement Mille femmes Montréal alors qu’elle venait d'entrer dans la course à la chefferie du Parti Québécois. Avec une amie, faisant comme moi partie des mille, nous sommes allées la saluer. Elle avait quelques journalistes aux trousses, semblait "en représentation". Comme si, la hauteur de la tâche envisagée l’y forçait. Elle n’avait pas, cette fois, laissé son armure chez elle. Elle s'est montrée froide, lointaine et nous a déconquises. "En représentation", elle avait perdu tout charisme.
Je suis absolument convaincue que, quels que soient nos talents et aptitudes, on ne peut pas être pleinement soi-même dans une toge de béton. Et encore moins parvenir à atteindre véritablement l’autre. N’est-ce pas quand on est touché par une personne, voire un peu déstabilisé, qu’on a envie de s’en approcher et de la suivre ?
Le jour où les femmes seront aussi « naturelles » en politique que les hommes, elles seront aussi charismatiques qu’eux. Mais il faudra d’abord que nos sociétés et cultures le leur permettent et les y invitent. Que le sexisme bienveillant ait fait sa valise. Pour de vrai.
D’ici là, je voterai pour une Première Ministre le 4 septembre prochain.
Billet également publié sur le Huffington Post Québec