L’être humain est constitué d’une pincée d’ingrédients de nature, que l’on croit immuables et d’une pelletée d’ingrédients de culture que l’on suppose faciles à transformer. Et pourtant…
Et pourtant, il a été bien plus facile de soulager la femme de l’allaitement que d’apprendre à l’homme à donner le biberon. Bien plus facile aussi de la délivrer des symptômes de la ménopause que de transmettre l’idée qu’elle reste une femme à part entière après la fin de la fécondité.
Clichés et stéréotypes sexuels culturels ont la vie dure. C’est ma participation à l’émission de télévision française Les Maternelles, (diffusion le 18 octobre) qui m’a donné envie, depuis Paris, d’écrire ce billet.
Dès sa venue au monde, bébé est plongé dans des vapeurs bleu acier et rose bonbon. Les étalages de vêtements dans les magasins, et plus encore les vitrines de jouets, accentuent les écarts entre les sexes. Même les déguisements qui pourraient laisser libre cours à la fantaisie en remettent. À l'occasion d'une fête comme l'Halloween par exemple, soubrette et matamore sont à l'honneur.
Aller contre ces poncifs, c’est possible ?
Oui. D'abord en prenant conscience, en tant qu'adulte, homme ou femme, que nous les véhiculons ces stéréotypes. Qu'ils sont si banalisés, si imbriqués à notre univers que cela se fait plus ou moins consciemment.
Il ne s’agit pas de gommer les spécificités sexuelles. Il y en a bien quelques unes et ma foi, elles sont pas mal du tout… Mais le message à transmettre : Au-delà de ces quelques merveilleuses distinctions homme-femme, les deux sexes ont un potentiel de développement identique et peuvent agir sur le monde plutôt que laisser le monde agir eux !
Comment faire ?
– Être attentif aux mots qu’on utilise pour nommer ressemblances et différences de genre. Le langage doit être juste et valorisant, promouvoir la fierté d’être fille ou garçon, illuminer l’estime personnelle de l’une et de l’autre.
– Mettre l'accent sur les ressemblances entre garçons et filles plutôt que sur les différences comme c’est presque devenu la norme avec cette désespérante mode mars-vénus !
– Témoigner. Toutes les possibilités de carrières, de bonheur, d’activités sont offertes aux filles comme aux garçons. Mais attention, il ne suffit pas de proposer à l'enfant un modèle égalitaire et pluriel théorique. Ces figures masculine et féminine doivent, devraient, faire partie de l'univers de l'enfant. On aura beau dire à l'enfant que le monde appartient aux filles comme aux garçons, si ses proches sont figés dans des habits de plomb virilomaniaques ou dans des robes à paillettes féminomaniaques, c'est un coup d'épée dans l'eau.
– Offrir aux bambins des jeux et jouets qui privilégient l’entièreté du potentiel de développement humain. Tant mieux si la fillette, après s’être barbouillé les ongles d’orteils, se prend pour Hercule avec les copains. Pas de problème que fiston assoit sa poupée dans son camion pour partir à l’aventure. Combien de fois m’a-t-on demandé s’il fallait laisser un garçon jouer avec une poupée, une fillette jouer au cow-boy. La réponse est OUI.
Retenez ceci. a) Le développement psychomoteur des enfants, garçons et filles, est favorisé par les activités telles le vélo, grimper aux arbres, la corde à danser… b) La motricité fine des filles et garçons se développe avec les jeux de pâte à modeler, de découpage, les légos, les perles à enfiler… c) Le développement de l'intelligence est stimulé par les livres, les jeux éducatifs, de gestion et d’association… Et enfin, d) l’épanouissement affectif des filles et des garçons est encouragé par les jeux de poupées, de dînette, le maquillage, les déguisements…
Priver l’enfant d’une de ces catégories de jeux et jouets, sous prétexte qu’elle est dévolue à l’autre sexe, c’est brimer son développement global et intégral.
Le cliché sexiste banalise l'injustice
La force du cliché sexiste est de banaliser l'injustice à l'égard d'un sexe. De la rendre normale, acceptable voire souhaitable. Le sexisme est une forme de violence. Violence sexuelle au sens large ou, si vous préférez violence de genre. C'est une question qui n'est pas inoffensive puisque les autres formes de violences à l'endroit des filles et des femmes, en découlent.
Toutes les initiatives pour contrer le sexisme sont louables. Et difficiles. On ne dégomme pas aisément ces lieux communs parce que derrière eux se cachent des réalités profondément assimilées par les hommes et les femmes ainsi que des réalités sociales incontournables. Le fait que les programmes antisexistes auprès de la petite enfance soient principalement portés et véhiculés par des femmes, le fait de la non parité hommes femmes dans presque tous les milieux, le fait que dans de nombreux pays le sexisme soit presqu'une affaire d'état , en témoignent.
Soyons inclusifs plutôt qu'exclusifs
En conclusion, je propose que l’on devienne inclusif plutôt qu’exclusif. La formule "Les hommes au marteau et les femmes au fourneau !" ne doit pas être remplacée par "Les hommes au fourneau et les femmes au marteau!" mais bien par : "Les hommes et les femmes, au marteau et au fourneau!" . Bref, là où ils et elles veulent, là où ça leur fait envie.
Être un garçon ou une fille doit être un moteur de croissance, de bonheur et d'accomplissement. À peu près RIEN n'est la prérogative d'un sexe seulement. Et, comme je l’écrivais en ouverture, l'être humain est composé d'une pincée d'ingrédients de nature et d'une pelletée d'ingrédients de culture. Le sexisme fait partie de cette pelletée d'ingrédients de culture. À éliminer.
Une version de ce texte a été publiée dans le Nouvel Obs Plus