Vite ! Vite ! … Toujours plus vite…
Les gens ne veulent pas aller plus haut, comme dans la chanson. Ni plus loin. Ni plus en profondeur. Non, ils veulent aller plus vite. S'étourdir.
Ralentir, traînasser, flâner, s’ennuyer…? Plutôt crever !
On se projette dans ce qui vient, on escamote ce qui est. On tweete vite. On mange vite, on jouit vite. On veut changer vite, maigrir vite, guérir vite, faire de l'argent vite, apprendre vite, aimer vite, être aimé vite, oublier vite.
La seule chose qu’on souhaite faire lentement, le plus lentement du monde : vieillir. Et surtout ne pas mourir vite. En fait, on ne veut pas mourir du tout.
Alors, pourquoi se dépêcher comme ça de bondir en avant ? N’a-t-on pas compris qu’à courir toujours droit devant, à fuir dans les projets et le futur et bien, le temps passe forcément plus vite et forcément, on s'use plus vite?
Et on se surprend ensuite que les hommes souffrent d’éjaculation précoce. Que le fast food pornographique domine. Que l’érotisme (qui prend du temps) fiche le camp!
S'ennuyer, quel bonheur!
Un jour, je gardais ma petite-fille alors haute comme cinq pommes. Elle passait la fin de semaine chez moi. Dès le saut du lit, elle me harcela pour savoir ce que nous allions manger, ce que nous allions faire après le petit déjeuner, en avant-midi, puis si nous allions jouer dehors ou aller au ciné, si nous allions manger au resto à midi, où nous irions en après-midi, et ce soir, puis ensuite, puis demain…
Éreintée, n’en pouvant plus de son babillage et de sa fébrilité, je lui coupai le sifflet: « Tu aimes la nouveauté et bien aujourd’hui, ma chérie tu vas être servie. On va faire quelque chose de complètement nouveau pour toi, on va s’ennuyer! Point barre! Tu vas voir comme ce sera bon! » Elle est restée estomaquée! Bouche bée! Paniquée devant cette inaction obligée.
Et de fait, nous n’avons rien planifié, rien fait de la journée qui fut le moindrement organisé. Nous nous sommes assises, relevées, rassises, recouchées. Nous avons regardé par la fenêtre, aperçu des oiseaux, fermé les yeux… Nous avons traînassé, flâné, barboté dans la baignoire jusqu’à être toutes chiffonnées… Nous avons déambulé, sans but, sans objectif, avec les cerfs, dans les boisés du Parc régional de Longueuil. Nous avons respiré des parfums de terre et de champignons. Nous nous sommes égarées et il s’est mis à pleuvoir des clous et nous chiâlions qu’il « pleutait » vraiment trop fort.
Te souviens-tu Alice, de cette souveraine journée de désœuvrement? De ce devoir d’ennui qui, finalement, n'eut d’ennuyant que le mot ?
Pour se moquer de moi, en me regardant droit dans les yeux, Alice avait répondu à son amie qui lui demandait au téléphone ce qu'elle avait fait toute la journée chez sa grande-mère : "M'en parle pas, je suis épuisée, on a été dans le moment présent toute la journée ! "
Éloge de la flânerie. Ça presse!