Résilience. Un mot qu’on aime. Assez récent dans le langage populaire.
Derrière lui se cache un merveilleux processus : celui de rebondir après un événement tragique. Un mot galvaudé, victime d’une mode verbale. Un mot duquel on est en train d’extraire tout le sens à force de l’utiliser à toutes les sauces.
On le distille désormais ça et là, où bon nous semble, comme pour semer l’espoir, laisser entrer un rayon de soleil, s’encourager soi-même, signifier notre admiration… L’intention est noble mais son utilisation est galvaudée
Les marchés s’en sont emparé. Des matelas sont maintenant résilients puisqu'ils reprennent aisément leur forme initiale. Le monde immobilier parisien est résilient, c'était écrit cette semaine dans un journal très sérieux. J’ai même lu récemment sur la « résilience morbide » d’une femme qui a subi durant vingt ans les mauvais traitements et la violence de son conjoint. Entre vous et moi, la résilience, une pulsion de vie, ne peut pas être morbide.
Cette femme a pu être impuissante, résistante, tenace, endurante, survivante, mais certes pas résiliente durant les années qu'elle a été malmenée. Sa résilience, si tant est qu’elle existe, a pu prendre place quelques années après qu’elle se soit tirée de son long calvaire.
Vous avez dit résilience…?
Vous l’avez compris, je compte parmi ceux et celles qui en ont un peu soupé d’entendre le mot « résilience ». Pas une journée ne passe sans qu’un journaliste proclame la résilience d’une population ou qu’une personne revendique sa propre résilience.
Il y a quelques semaines, alors qu’il regardait la messe télévisée à la mémoire des victimes de la tragédie de Lac Mégantic qui a fait 47 victimes et pulvérisé une ville, Jean Lapierre tweetait qu’il était " impressionné par la classe et la résilience " des Méganticois. La classe, la dignité, ok . Mais de résilience, impossible d’en parler maintenant. Le fait d’être malheureux, souffrant, effroyablement triste et de rester droit, digne et courageux n’est pas de la résilience.
Quelques jours plus tard, le journaliste Daniel Leblanc tweetait à son tour : « Le Musi-Café offrira 23 spectacles "réconforts" à Mégantic cet été. Un symbole de résilience». En décrivant une activité comme « symbole de résilience », on se rapproche effectivement de la symbolique du terme sans proclamer la chose. Dans le geste d’organiser et d'offrir des spectacle, les artistes expriment leur volonté de s’inscrire comme des tuteurs de résilience. C’est beau, humain, solidaire, touchant et, qui sait, prometteur. Mais on ne sait pas si ça marchera.
Petite histoire de la résilience
À l’origine, ce mot est utilisé en physique pour décrire la capacité d'un matériau à retrouver son état initial après avoir été soumis à un impact. Du verbe latin resilio, ire, littéralement « sauter en arrière », d'où « rebondir, résister » au choc, à la déformation.
Sur le plan psychologique, on parle d’un phénomène consistant pour un individu affecté par un traumatisme, à prendre acte de l'événement pour se reconstruire, se structurer avec cet événement et rebondir.
La résilience serait rendue possible grâce à des expériences constructives de l'enfance, avant la confrontation avec des faits potentiellement traumatisants. Parfois aussi avec l’aide de la réflexion, de la parole, de l’accompagnement ou de l’encadrement, thérapeutiques ou non.
C’est Boris Cyrulnik qui a vulgarisé l’idée de résilience avec des ouvrages grand public comme " Les vilains petits canards" et « Les nourritures affectives » ainsi qu'avec sa plus récente autobiographie… Aussi et surtout par sa formidable aisance médiatique et son témoignage. Étant lui-même rescapé des camps de concentration ( évadé au cours d'un transfert pour Auschwitz où toute sa famille sera exterminée) il a articulé et développé ce principe autour de l’étude des survivants de ces camps. Il faut cependant accorder la paternité du concept dans le champ de la psychologie à John Bowlby dans ses travaux sur l'attachement. Ensuite, en élargissant son application au domaine de l'assistance aux collectivités en cas de catastrophe, naturelle ou causée par l'homme, on commença à parler de communautés résilientes.
La résilience : qu’en est-il ?
La résilience serait le résultat de processus qui viennent interrompre des trajectoires négatives induites par un traumatisme, et remettre la personne ou le groupe sur les rails de la reconstruction et de la création. Individuelle ou collective, la résilience peut rarement prendre place dans l’instant. Quand on dit, quelques jours après l’horrible désastre qui les a dévastés, que « les Méganticois sont résilients », on exprime un désir bien plus qu’une réalité attestée. On voudrait que les choses aillent vite. Dans cinq ou 10 ans, peut-être avant, peut-être après, nous pourrons constater que la communauté éprouvée a été résiliente en observant son relèvement et sa restructuration, sans négation de la catastrophe qui aura marqué son histoire mais au contraire, avec celle-ci comme épisode, malgré tout, façonnant de son évolution.
D’ici là, la personne et la collectivité touchées souffrent, manifestent du courage, se montrent dignes, pleurent, se soignent, tentent de rester debout, se serrent les coudes, se laissent bercer… Elles cheminent. Se dégagent, lentement, de l’événement. Non pas de la blessure qui elle, ne peut que se réduire, puis cicatriser sans jamais s’effacer.
La résilience ne peut pas être instantanée. Ce qui n'empêche pas certains individus de "rebondir" légèrement, vite, plus vite, très vite, puis de stagner longtemps, parfois définitivement. Cela n’est pas de la résilience. Je me répète: Dans cette dernière, on ne « rebondit » pas sur place comme si rien ne s’était passé. On "rebondit" un peu à côté, ou devant, pour continuer d’avancer.
Des faux synonymes
J’écris « faux synonymes » parce qu’il n’y a pas de réelle équivalence à la notion de résilience. S'il en est, je ne les connais pas. Disons que les mots les mieux apparentés seraient: résistance, solidité, vitalité, créativité… Le pire et le plus inexact des mots que j’ai entendus pour parler de résilience : invulnérabilité. En fait, son seul synonyme ne tient pas en un mot mais en un énoncé qui serait « disposition à rebondir après une épreuve traumatique et à poursuivre son développement dynamique».
Innée ou acquise ?
Notre développement et notre manière de faire face à la vie sont régis par un certain nombre de déterminants génétiques. Pas un cerveau humain ne sécrète la même quantité de dopamine et de sérotonine, ces substances qui jouent un rôle euphorisant. Il est totalement illusoire d’imaginer qu’une analyse de l’ADN puisse démontrer qu’un enfant sera prédisposé, ou non, à la résilience. Son environnement affectif jouera un rôle primordial.
Une force intérieure ? Un peu, mais pas que. Aussi et surtout quelque chose qui s'édifie progressivement après un choc, souvent avec l’aide de personnes qui jouent le rôle de tuteurs et qui s'additionnent à nos ressources intérieures quelquefois insuffisantes.
On parle davantage de résilience aujourd’hui et nous sommes plus réceptifs à ce discours en raison des histoires d’horreurs ( pédophilie, séquestrations, viols, camps de la mort, drames de guerres etc) qui sortent de l’ombre. En prenant la parole, les victimes de ces inqualifiables malheurs nous permettent de constater que certains on été plus ou moins résilients.
Pulsion de survie puis pulsion de vie
Au cœur d’une situation traumatique, ponctuelle comme une explosion meurtrière, ou étalée dans le temps comme un séjour en camp de concentration, on est habituellement en mode survie. Il est difficile, voire impossible, d'être simultanément en mode "survie" et en mode "pulsion de vie".
Concluons en reprenant mon exemple de la femme battue. Durant les années qu’elle a subi violences et maltraitance, elle est en mode survie. Après, une fois qu’elle a pris acte de ses multiples souffrances et blessures et qu’elle s’en dégage, elle peut entrer en mode pulsion de vie. Le processus de résilience s’engage.
Chaque fois qu’on se bat et qu'on résiste, on n’est pas forcément résilient. Mais il est possible qu’en se battant et en résistant, on soit sur le chemin de la résilience. En fait, la résilience se décline le long d’un parcours, étape par étape, qui aboutit à la défragmentation de l’être (ou du groupe) qui s’est vu explosé, éparpillé, détruit. Et qui se voit recollé, ressoudé, plus solide qu'il ne l’était dans sa confection initiale, une fois bouclé le processus de résilience. De la même manière qu'un os serait plus solide, en son lieu de fracture, une fois achevée la reconstruction osseuse…