jocelyne robert

Résilience. Un mot qu’on aime. Assez récent dans le langage populaire.

Derrière lui se cache un merveilleux processus : celui de rebondir après un événement tragique. Un mot galvaudé, victime d’une mode verbale. Un mot duquel on est en train d’extraire tout le sens à force de l’utiliser à toutes les sauces.

On le distille désormais ça et là, où bon nous semble, comme pour semer l’espoir, laisser entrer un rayon de soleil, s’encourager soi-même, signifier notre admiration…  L’intention est noble mais son utilisation est galvaudée

Les marchés s’en sont emparé. Des matelas sont maintenant résilients puisqu'ils reprennent aisément leur forme initiale. Le monde immobilier parisien est résilient, c'était écrit cette semaine dans un journal très sérieux. J’ai même lu récemment sur la « résilience morbide » d’une femme qui a subi durant vingt ans les mauvais traitements et la violence de son conjoint. Entre vous et moi, la résilience, une pulsion de vie, ne peut pas être morbide.

Cette femme a pu être impuissante, résistante, tenace, endurante, survivante, mais certes pas résiliente durant les années qu'elle a été malmenée. Sa résilience, si tant est qu’elle existe, a pu prendre place quelques années après qu’elle se soit tirée de son long calvaire.

Vous avez dit résilience…?

Vous l’avez compris, je compte parmi ceux et celles qui en ont un peu soupé d’entendre le mot « résilience ». Pas une journée ne passe sans  qu’un journaliste proclame la résilience d’une population ou qu’une personne revendique sa propre résilience.

Il y a quelques semaines, alors qu’il regardait la messe télévisée à la mémoire des victimes de la tragédie de Lac Mégantic qui a fait 47 victimes et pulvérisé une ville, Jean Lapierre tweetait qu’il était " impressionné par la classe et la résilience " des Méganticois. La classe, la dignité, ok . Mais de résilience, impossible d’en parler maintenant. Le fait d’être malheureux, souffrant, effroyablement triste et de rester droit, digne et courageux n’est pas de la résilience.

Quelques jours plus tard, le journaliste Daniel Leblanc tweetait à son tour : « Le Musi-Café offrira 23 spectacles "réconforts" à Mégantic cet été. Un symbole de résilience». En décrivant une activité comme « symbole de résilience », on se rapproche effectivement de la symbolique du terme sans proclamer la chose. Dans le geste d’organiser et d'offrir des spectacle, les artistes expriment leur volonté de s’inscrire comme des tuteurs de résilience. C’est beau, humain, solidaire, touchant et, qui sait, prometteur. Mais on ne sait pas si ça marchera.

Petite histoire de la résilience

À l’origine, ce mot est utilisé en physique pour décrire la capacité d'un matériau à retrouver son état initial après avoir été soumis à un impact. Du verbe latin resilio, ire,  littéralement « sauter en arrière », d'où « rebondir, résister » au choc, à la déformation.

Sur le plan psychologique, on parle d’un phénomène consistant pour un individu affecté par un traumatisme, à prendre acte de l'événement pour se reconstruire, se structurer avec cet événement et rebondir.

La résilience serait rendue possible grâce à des expériences constructives de l'enfance, avant la confrontation avec des faits potentiellement traumatisants. Parfois aussi avec l’aide de la réflexion, de la parole, de l’accompagnement ou de l’encadrement, thérapeutiques ou non.

C’est Boris Cyrulnik qui a vulgarisé l’idée de résilience avec des ouvrages grand public comme " Les vilains petits canards" et « Les nourritures affectives » ainsi qu'avec sa plus récente autobiographie… Aussi et surtout par sa formidable aisance médiatique et son témoignage. Étant lui-même rescapé des camps de concentration ( évadé au cours d'un transfert pour Auschwitz où toute sa famille sera exterminée) il a articulé et développé ce principe autour de l’étude des survivants de ces camps. Il faut cependant accorder la paternité du concept dans le champ de la psychologie à John Bowlby dans ses travaux sur l'attachement. Ensuite, en élargissant son application au domaine de l'assistance aux collectivités en cas de catastrophe, naturelle ou causée par l'homme, on commença à parler de communautés résilientes. 

La résilience : qu’en est-il ?

La résilience serait le résultat de processus qui viennent interrompre des trajectoires négatives induites par un traumatisme, et remettre la personne ou le groupe sur les rails de la reconstruction et de la création. Individuelle ou collective, la résilience peut rarement prendre place dans l’instant. Quand on dit, quelques jours après l’horrible désastre qui les a dévastés, que « les Méganticois sont résilients », on exprime un désir bien plus qu’une réalité attestée. On voudrait que les choses aillent vite. Dans cinq ou 10 ans, peut-être avant, peut-être après, nous pourrons constater que la communauté éprouvée a été résiliente en observant son relèvement et sa restructuration, sans négation de la catastrophe qui aura marqué son histoire mais au contraire, avec celle-ci comme épisode, malgré tout, façonnant de son évolution.

D’ici là, la personne et la collectivité touchées souffrent, manifestent du courage, se montrent dignes, pleurent, se soignent, tentent de rester debout, se serrent les coudes, se laissent bercer…  Elles cheminent. Se dégagent, lentement, de l’événement. Non pas de la blessure qui elle, ne peut que se réduire, puis cicatriser sans jamais s’effacer.  

La résilience ne peut pas être instantanée. Ce qui n'empêche pas certains individus de "rebondir" légèrement, vite, plus vite, très vite, puis de stagner longtemps, parfois définitivement. Cela n’est pas de la résilience. Je me répète: Dans cette dernière, on ne « rebondit » pas sur place comme si rien ne s’était passé. On "rebondit" un peu à côté, ou devant, pour continuer d’avancer.

Des faux synonymes 

J’écris « faux synonymes » parce qu’il n’y a pas de réelle équivalence à la notion de résilience. S'il en est, je ne les connais pas. Disons que les mots les mieux apparentés seraient:  résistance, solidité, vitalité, créativité… Le pire et le plus inexact des mots que j’ai entendus pour parler de résilience : invulnérabilité.  En fait, son seul synonyme ne tient pas en un mot mais en un énoncé qui serait « disposition à rebondir après une épreuve traumatique et à poursuivre son développement dynamique».

Innée ou acquise ?

Notre développement et notre manière de faire face à la vie sont régis par un certain nombre de déterminants génétiques. Pas un cerveau humain ne sécrète la même quantité de dopamine et de sérotonine, ces substances qui jouent un rôle euphorisant. Il est totalement illusoire d’imaginer qu’une analyse de l’ADN puisse démontrer qu’un enfant sera prédisposé, ou non, à la résilience. Son environnement affectif jouera un rôle primordial. 

Une force intérieure ? Un peu, mais pas que. Aussi et surtout quelque chose qui s'édifie progressivement après un choc, souvent avec l’aide de personnes qui jouent le rôle de tuteurs et qui s'additionnent à nos ressources intérieures quelquefois insuffisantes.

On parle davantage de résilience aujourd’hui et nous sommes plus réceptifs à ce discours en raison des histoires d’horreurs ( pédophilie, séquestrations, viols, camps de la mort, drames de guerres etc) qui sortent de l’ombre. En prenant la parole, les victimes de ces inqualifiables malheurs nous permettent de constater que certains on été plus ou moins résilients.

Pulsion de survie puis pulsion de vie

Au cœur d’une situation traumatique, ponctuelle comme une explosion meurtrière, ou étalée dans le temps comme un séjour en camp de concentration, on est habituellement en mode survie. Il est difficile, voire impossible, d'être simultanément en mode "survie" et en mode "pulsion de vie".

Concluons en reprenant mon exemple de la femme battue. Durant les années qu’elle a subi violences et maltraitance, elle est en mode survie. Après, une fois qu’elle a pris acte de ses multiples souffrances et blessures et qu’elle s’en dégage, elle peut entrer en mode pulsion de vie. Le processus de résilience s’engage.

Chaque fois qu’on se bat et qu'on résiste, on n’est pas forcément résilient. Mais il est possible qu’en se battant et en résistant, on soit sur le chemin de la résilience. En fait, la résilience se décline le long d’un parcours, étape par étape, qui aboutit à la défragmentation de l’être (ou du groupe) qui s’est vu explosé, éparpillé, détruit. Et qui se voit recollé, ressoudé, plus solide qu'il ne l’était dans sa confection initiale, une fois bouclé le processus de résilience. De la même manière qu'un os serait plus solide, en son lieu de fracture, une fois achevée la reconstruction osseuse…

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Publié dans : Culture et Société, Humanisme, Médias et Actualités, Opinion, Psychologie
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17 commentaires

  • Commentaire de Jocelyne Robert — 9 août 2013 à 8 h 48 min

    Je lis votre commentaire au saut du lit. Un vrai réveille-matin! 😉 Merci!

  • Commentaire de Stéphanie ..... — 9 août 2013 à 4 h 59 min

    Je n’ai pas encore beaucoup lu votre blog . Je viens juste d’arriver ici , virtuellement bien sûr . C’est rigolo parcequ’en lisant le nom de votre blog j’ai lu « Sexophone » … C’est joli « sexophone » comme mot …… C’est assez sur-réaliste ……. Bon , je suis dysorthographique et dyslexique , ou alors dyslexique à orthographie variable ……. Résiliance , non ! rési-lience ? … rési-lien ? … rési-lieu ? … rési-lianne ? non plus …. rési-délience ? rési-délier ? rési-délivrer ? rési-noeud alors !? rési nœud résid délié ? ….. Rési-dence ? ou rési-dance ? Oui ! résidance c’est joli ! ……. OH LALA ! ……….. LALA ! …… Sexophone ! J’adDÔÔÔre ! …….

  • Commentaire de renee — 7 août 2013 à 20 h 39 min

    Le populisme des médias fausse la réalité des urgences politiques

  • Commentaire de Jocelyne Robert — 10 août 2013 à 10 h 52 min

    Merci Mario pour vos bons mots à mon égard. Mais surtout, merci pour vos réflexions toujours aussi bien senties et votre regard toujours très large et globale des situations.

  • Commentaire de Mario Bellavance — 7 août 2013 à 9 h 39 min

    Il y a un mois, la communauté de Lac-Mégantic vivait un horrible drame. Un mois, c’est court et voilà que certains voudraient par la désinformation occulter, amoindrir l’ampleur de celui-ci en faisant la promotion de la résilience. Je ne peux que reconnaître votre talent de communicatrice, Mme Robert. L’importance que vous accordez aux mots incite tous, toutes et chacun, chacune, à la réflexion…
    À ce titre, le commentaire de Carol-Lynn est vraiment touchant. Vivant le deuil de sa fille décédée il y a cinq ans, elle écrit : « Je devrais montrer plus de résilience. » puis elle poursuit : « il faut laisser la peine avoir de la peine… ce n’est avec la tête que ça se passe, c’est en accompagnant son coeur que l’on peut passer au travers… » Quelle leçon de sagesse!!! Poursuivant la réflexion sur le sujet, j’ai personnellement la conviction qu’avec toute épreuve arrive toute grâce. Je l’ai expérimenté dans ma vie où une grave intervention chirurgicale subie il y a près de 20 ans a sonné l’alarme vers mon retour dans ma ville natale. L’épreuve était bien là mais la grâce cachée s’est laissée découvrir au fil du temps.
    Aussi, avant la question de la résilience, le drame de Lac-Mégantic pose celle de notre grande vulnérabilité malgré l’extraordinaire développement de nos sociétés modernes : réchauffement climatique, maladies industrielles ou bactéries transmises par des technologies comme la légionellose, guerres, terrorisme… Tous ces événements sont des signes que nos sociétés ne sont pas à la hauteur des défis qui se posent : manque d’harmonie entre lois fédérales et provinciales, déréglementation néo-libérale, vide juridique, appétit vorace d’aventuriers industriels, corruption… Comment traverserons-nous cette période charnière éprouvante de notre Histoire? Je ne le sais. Le drame de Lac-Mégantic pose des jalons : Actions sur le terrain de nombreux intervenants dévoués, gestes de solidarité, engagement responsable du gouvernement du Québec et de notre première ministre… La résilience totale quant à elle, nous ne pourrons la mesurer que dans 50 ans, 100 ans??? Pour demeurer dans le sujet qui est le vôtre, la sexualité, peut-être qu’aujourd’hui un enfant vient de naître et fort d’une sensibilité face aux drames humains comme celui de Lac-Mégantic, il s’engagera dans des solutions sociales et politiques que, malheureusement, nous sommes encore impuissants, impuissantes à réaliser!!!

  • Commentaire de Jocelyne Robert — 7 août 2013 à 8 h 42 min

    Quel joli message ! Merci Roxane. Je crois que si je peux être un peu écrairante, c’est parce que j’ai été éclairée par d’autres… Beaucoup de lucioles ont sillonné et sillonnent ma vie 🙂 . Touchée que tu apprécies. 

  • Commentaire de Roxane Vézina — 7 août 2013 à 0 h 24 min

    Bonjour Jocelyne,
    Je lis toujours avec intérêt tes articles. J’apprécie la rigueur, la précision, la nuance dans l’utilisation des termes et l’invitation à la réflexion et à la profondeur que tu proposes. Les mots sont des valises ou des boîtes permettant d’encapsuler des pensées. Certaines personnes semblent y mettre n’importe quoi, sans égard aux définitions, ou à l’historique de certaines expressions. Merci d’éclairer notre route et servir de phare.

  • Commentaire de Jocelyne Robert — 6 août 2013 à 18 h 06 min

    Je ne sais pas car la résilience est un mot très positif et signe de renouvellement… Peut-être est-ce justement parce qu’il a été utilisé à tort et à travers qu’il a fini par en dégoûter plusieurs… 

  • Commentaire de Michelyne — 6 août 2013 à 16 h 11 min

    Avec cet article paru sur la « résilience ».. je peux enfin poser la question à quelqu’un qui saura m’éclairer. Depuis que ce mot coule sur toutes les lèvres… suis-je la seule à le prendre d’une façon négative… je n’ai pas la même signification que la plupart des gens… pour moi ce mot signifie « lâcheté », abandon, démission voir même manque de courage… pour moi ça veut dire accepter un état, une décision, un fait sans se battre et ce n’est pas moi ça. Dites-moi pourquoi ais-je une idée négative de ce propos….

  • Commentaire de Carol-Lynn — 6 août 2013 à 14 h 23 min

    Votre article tombe tellement à point. Je suis toujours dans ce questionnement et à me dire que je devrais montrer plus de résilience quand même, après cinq ans!! Oui, cinq après le décès accidentel de ma fille de 24 ans, je me sens encore en « reconstruction »… Car après une telle tragédie, comment peut-on être la personne d’avant… Ce ne sera plus jamais pareil… Alors il y a un temps pour le deuil où même si on rationalise pour atténuer sa peine, les émotions vives doivent se frayer un chemin à la surface. C’est un long processus, il faut laisser la peine avoir de la peine… ce n’est avec la tête que ça se passe, c’est en accompagnant son coeur que l’on peut passer au travers… Et longtemps bien, longtemps après vient le temps du renouvellement, la forte envie de se recréer une paix… refaire ses fondations et continuer sa route avec un autre oeil, celui du coeur peut-être…

  • Commentaire de Christine Gariépy — 6 août 2013 à 14 h 11 min

    On peut certes rebondir, se créer à partir de ses souffrances, mais celles-ci laissent des blessures prêtes à saigner au moindre coup dur. On ne s’effondre pas, mais on vacille…

  • Commentaire de Jocelyne Boileau — 6 août 2013 à 10 h 57 min

    Bonjour,
    Je suis tellement heureuse que quelqu’un parle ainsi de la résilience « instantanée » (comme vous le mentionnez dans votre article).
    Je partage entièrement votre avis là-dessus. Il y a des phases essentielles à traverser avant de parler de résilience. La souffrance peut se vivre dans la dignité.
    merci d’avoir écrit là-dessus madame Robert.
    Jocelyne Boileau

  • Commentaire de François Marcotte — 6 août 2013 à 10 h 46 min

    J’ai eu l’occasion d’assister à un séminaire de Boris Cyrulnik sur la résilience. Il reconnaissait avoir emprunté le concept au psychologue John Bolwby. Et l’utiliser pour définir la capacité de rebondir à court et à long terme propre à certaines personnes qui ont subi un traumatisme grave. Il donnait l’exemple d’enfants victimes de la guerre qui ne s’en tirent pas tous de la même façon. Certains restent prostrés toute leur vie. D’autres se construisent peu à peu, malgré leurs blessures psychiques. Il disait ne pas très bien comprendre ni pouvoir expliquer leur différence: il évoquait la force de caractère des uns, la faiblesse des autres, le soutien reçu ou pas, les opportunités saisies par les uns et pas par les autres. Mais il voyait la résilience comme une faculté individuelle avant tout et non comme un phénomène collectif. Voilà, c’était mon commentaire.

  • Commentaire de Maelle — 6 août 2013 à 5 h 01 min

    Bonjour,
    Je me permets de vous partager un article sur Boris Cyrulnik, plutôt critique, que j’avais trouvé éclairant : http://allodoxia.blog.lemonde.fr/2013/05/24/boris-cyrulnik-stop-ou-encore-partie1/

  • Commentaire de France — 6 août 2013 à 4 h 58 min

    excellent article portant à la réflexion, merci…

  • Commentaire de Jocelyne Robert — 5 août 2013 à 18 h 10 min

    Merci Jacques pour ce partage. Il n’y a pas de magie dans une situation de si grande détresse. Mais vous êtes là et cela est certe d’une précieuse importance pour elle. Je souffle à votre frangine mes pensées les plus chaleureuses . Et à vous aussi. 

  • Commentaire de Jacques Chabot — 5 août 2013 à 18 h 05 min

    Votre texte, très pertinent par ailleurs, tombe à point dans mes préoccupations actuelles. Ma sœur, qui est aussi ma meilleure amie, vient d’être victime d’un accident tragique. Elle se retrouve quadraplégique à la suite d’une chute. Elle a 65 ans, est psychologue depuis plus de 30 ans, elle a une clientèle assidue et elle est considérée parmi ses pairs qui lui réfèrent souvent des clients. Bref, sa vie, sa carrière et sa santé se portaient bien avant cet événement. Inévitablement, se retrouver ainsi sans bras, sans mains ni jambes l’a plongée dans le désarroi. Il est trop tôt pour poser un diagnostic sur ses chances de rétablissement partiel. D’où la question de cette fameuse résilience que vous posez. Nous nous voyons tous les jours et nous parlons librement de l’espoir, de la détermination mais aussi de notre ambivalence face à la vie.

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