J’ai parlé un peu, ici et là, de l’affaire Gab Roy. Forcément, j’ai parlé de l’homme qui a engendré le texte qui a engendré l’histoire. Et qui a continué de la ravitailler en s’en servant comme d'un tremplin. Avant qu’on m’interpelle à ce sujet, je ne connaissais le personnage ni d’Ève ni d’Adam. J’ai donc fait connaissance avec lui par le biais de sa déjection sur Mariloup Wolfe, déjection qui nous a éclaboussés toutes et tous.
J’écris ce billet comme on prend une douche, pour se débarrasser des petits éclats de vomi qui collent à la peau. Ce sera, je crois bien, la dernière fois que je commenterai le court récit de Monsieur Roy.
D’emblée, je veux faire une mise au point. Si je parle, nommément, de Gab Roy et de son texte, c’est à tous les Gab Roy de ce monde que je réfère à travers lui. Ainsi qu’à son fan-club de suiveurs, défenseurs et supporters…
À ceux et celles qui m’en ont fait la demande, je suis désolée d’annoncer que je ne ferai pas dans le présent billet l’analyse psycho-sexologique de l’homme. Vous devrez donc rester sur votre soif de savoir s’il est exact que les pseudos mâles alphas ont un flageolet à la place du pénis et un pois chiche à la place du cerveau.
Description d’une agression sexuelle
Il ne faut pas avoir peur des mots. Dans son topo sur Mariloup Wolfe, Gab Roy déballe un fantasme d’agression sexuelle qui le saoule, le fait dégouliner de joie et de fluides corporels. Une fiction évidemment. Mais une fiction qui met en scène une femme bien réelle, nommée, connue et aimée d’un très large public. Le même récit avec une inconnue aurait eu bien moins d’impact. C’était calculé : en quête éperdue de lumière et d’existence, il s’est vautré dans la notoriété de sa victime.
Il décrit une agression sexuelle donc – ou un viol, appelez ça comme vous voulez, on ne se perdra pas ici en terminologie juridique.
Qu’est-ce qui permet de dire cela ?
– Il n’y pas, dans son texte, le début de l’ombre d’un consentement
– Il n’y a pas, dans son texte, le début de l’ombre d’un plaisir réciproque et partagé
– Il n’y pas, dans son texte, le début de l’ombre d’une personne en face de lui : juste une chose, des morceaux de chair, des orifices qu’il force, envahit, souille
– Il n’y a pas, dans son texte, le début de l’ombre d’une alternance des pouvoirs, juste de l’humiliation
– Il n’y a pas, dans sont texte, le début de l’ombre de désir érotique : juste une soif de soumettre et de dominer.
À l’appui, on m’excusera de citer quelques passages:
« Bang bang, claque… Bang bang écartille les fesses pour cracher dans ton cul … Marichienne… Te fourrer à 4 pattes de façon rude et impersonnelle… Toi et moi savons malgré tes grimaces tu adores quand je te surprends avec un doigt dans le cul… Combien de mes doigts énormes je peux enfoncer dans ta plotte… Celui qui va te harceler … qui te fera sucer sa graine même s’il n’a pas pris de douche depuis 24 heures … Combien de gag reflexe tu peux avoir avant de puke [vomi, NDLR]. »
Que l’on se comprenne bien : le côté porn du propos ne me fait pas un pli. Prévisible, répétitive, sans surprise, rassurante, je considère la pornographie comme le versant pépère de l’érotisme. Elle m’indiffère. Il y aurait eu désir et plaisir partagés, réciprocité, consentement, dans un contexte de cul encore plus osé, atypique, odorant, chargé de voluptés débridées et de déflagrations orgasmiques que cela n’aurait même pas retenu mon attention.
Ce qui, dans ce texte, mérite d’être souligné : la mise en scène parfaite représentant la culture du viol.
Culture du viol
Qu’en est-il ? La culture du viol est un concept établissant des liens entre le viol, le harcèlement, les agressions sexuelles avec la culture de la société où ces crimes sont commis. La culture du viol documente et décrit un environnement social et médiatique dans lequel les violences sexuelles trouvent des justifications, des excuses, sont simplement banalisées, ridiculisées, moquées, tolérées, voire acceptées.
Qu’est-ce qui permet de dire cela ?
Dans le texte :
– Il écrit que « malgré ses grimaces » , elle est « émoustillée », elle veut, adore…
– Il est le « mâle alpha » qui hantait l’existence de cette Cendrillon depuis toujours
– Il laisse entendre qu’elle rêvait d’être forcée, que tous ses orifices se languissaient d’être pris d’assaut par tous ses appendices pendiloquents à lui
– Il suppose que la femme aime souffrir, être dominée, avilie, asservie, se faire « venir dans la face en se faisant traiter de salope » et en se faisant « défoncer le cul »
Dans l’après-texte publié devant l’opprobre général, il présente ses excuses, supprime son billet en blaguant grassement :
– « Ha ha ha c’était juste une joke… »
– Il ne comprend pas. Il n’a pas été compris. C’était une grosse blague ha ha ha
– Le quidam se plaint : ses commanditaires fuient. Ça y est, il fait pitié
– Il se transforme en souffre-douleur, devient, comme nombre d’agresseurs réels, victime de la salope qu’il a outragée
– Sur la place publique, son troupeau d’adeptes forment un chœur de vierges offensées. Ils banalisent, parfument la fiente, scandent à gorge déployée (gorge dans laquelle nulle « graine pas lavée depuis 24 heures » n’est enfoncée de force) qu’il est victime d’incompréhension.
Pour le secourir, ils s’enfargent dans la libArté d’expression, vont jusqu’à comparer le caca royal avec le travail de Rémy Couture, amalgamant cinéma d’horreur et violence sexuelle. Comme s’ils ne saisissaient pas que les films de Rémy Couture n’ont pas pour but d’inciter le spectateur à se masturber devant des cadavres!
L’analogie est frappante. On a longtemps dit et on évoque encore, parfois, l’idée barbare selon laquelle les violeurs sont les victimes démunies de greluches vêtues comme des putes.
Bref, le brûlot a craché l'imposture misogyne classique : même si elles ne le savent pas, les femmes, ces cruches, se languissent d’être violentées! Mais les hommes eux, le savent, et peuvent leur montrer ce qui est bon pour elles. Voilà le message, dangereux, malsain , inquiétant vecteur d’un retour en arrière. J’ai vu, lu, entendu, suffisamment de gars, jeunes ados ou jeunes hommes dire candidement qu’ils trouvent normal de bousculer les filles, de les harceler, de les forcer un peu, pour savoir de quoi je parle.
Des excuses de crocodile
Le fait qu’il en remette, après ses excuses, n’aide pas sa cause. En effet, pour s’amender, il publie une vidéo dans laquelle il propose que Mariloup Wolfe lui « tape sur la gueule ». Moyennant des frais de visionnement de ce spectacle, il remettra la somme recueillie (2 000 $, espère-t-il) au Chaînon. Il accepterait même que Mariloup Wolfe se fasse remplacer par Michelle Blanc (laquelle, en passant, il n'en finit plus de mépriser, d'humilier, de démolir, et qu’il déclare solennellement « ne pas être une femme », lui qui s’y connaît autant en identité sexuelle que moi en mécanique aéronautique). Encore de la provocation exhibitionniste. Encore une bavure en apparence innocente. S'il était vraiment désolé, il se serait tenu penaud après avoir présenté ses excuses. Et puis, il peut certes « tirer du positif » de sa boulette, comme il prétend le souhaiter, en donnant discrètement au Chaînon ces 2000 $. Autrement, c’est gros comme le nez au milieu du visage, que le show continue.
Enfin, je meurs d’envie de demander: ce gars aurait-il pu, dans son scénario, remplacer le nom de Mariloup par l’Arabe, la Juive ou la Femme voilée? Certes pas. Parce que sa brutalité sexuelle ne s’allume qu’au contact d’une Occidentale ? Pas du tout! Plutôt parce qu’il sait pertinemment qu’il aurait pu alors être accusé, poursuivi et condamné pour haine raciale. Il sait probablement ce que plusieurs ignorent : la propagande haineuse à l’endroit des femmes tout court ne constitue pas un crime en ce pays.
Quand les offenseurs jouent les vierges offensées, les vierges et les fées ont soif
À force de baigner dans un univers où trône un modèle sexuel violent et utilitariste, à force d’entendre les offenseurs jouer les offensés, les fées finissent par avoir soif de vengeance. Je les comprends. Comprendre ne signifie pas encourager. Je n’ai pas assez d’instinct sadique pour vouloir lyncher un individu, ou le mettre sur la voie de service, si gros méchant fût-il.
À l’ami Étienne qui invite à la bonté, à ne pas répondre à la bêtise par la bêtise, à la hargne par la hargne, à la haine par la haine, je dis : tu as raison. Idéalement et théoriquement, tu as raison. Mais permets-moi de rappeler que les femmes ont beaucoup donné dans la mansuétude : elles ont peu rétorqué, beaucoup tendu l’autre joue. Et admets aussi que lorsque des hommes, supportés par d’autres hommes, transmettent du haut de leur chaire le message que l’agression sexuelle est puérile et drôle et ben non, il n’y pas lieu d’être magnanimes et compréhensives. Puisses-tu comprendre aussi que de mon point de vue, le silence, l’ignorance et l’indifférence ne sont pas indiqués.
Loin de moi l’idée de museler ou d’appeler à la censure. Comme dit l’ami Claude, la censure ne fait que créer des «martyrs». Analyser, disséquer le message, confronter, déconstruire, aboutir à une réflexion qui soit créative me semble être ce qu’il y a de mieux à faire. En espérant qu’un tel processus féconde des transformations sociales positives et surtout soit générateur de bonheur et de partage complice entre les hommes et les femmes.
Culture du viol et de la violence sexuelle : tolérance zéro
Finalement, ce qui m’a le plus énervée dans cette histoire n’est ni le texte de Gab Roy, ni Gab Roy. Ce qui m’a le plus énervée dans toutes les réactions et commentaires qui ont pullulé en amont c’est le fait que la plupart n' ont vu que du hard sex là où nous sommes en présence d’une fiction d’agression sexuelle.
J’aimerais qu’on se serve de cet événement, miroir de la culture du viol, pour prendre enfin conscience, collectivement, de la vitalité sournoise et insidieuse de cette culture, pour se mobiliser vers un refus global de celle-ci, pour dire haut et fort à ceux qui la promeuvent que ÇA SUFFIT !
Si l’on zappe les Gab Roy de ce monde, ils finiront bien par se taire. Si l’on boycotte leurs supporters ainsi que les lieux de leur grenouillage, ce sera peut-être le début d’un temps nouveau. Ne laissons plus saboter l’alliance, érotique, jouissive et consensuelle entre les femmes et les hommes. Que les rapprochements de séduction, sexuels, érotiques et/ou amoureux, soient pleinement et mutuellement désirés et consentis !
Nous avons déclaré tolérance zéro à l’intimidation et à l’homophobie. Il est grand temps de déclarer tolérance zéro à la culture du viol.
N.b.: Une version de ce billet à été publiée dans le Huffington Post Québec du 1er novembre
P.s.: Le billet de Gab Roy