Voici le texte du mémoire que j'ai présenté le 22 janvier 2014, à la Commission des institutions, dans le cadre de la consultation générale sur le projet de loi 60, charte affirmant les valeurs de laïcité et de neutralité religieuse de l’État ainsi que d’égalité entre les femmes et les hommes et encadrant les demandes d’accommodement. Ce mémoire est également disponible sur le site de l'Assemblée Nationale (page 4) . On peut aussi, en cliquant sur l'image ci-contre, visionner ma présentation complète devant la commission, incluant la période de questions. Pour une version sans échange avec les parlementaires ( et sans publicités ), c'est ici : https://www.youtube.com/watch?v=BYv5KrPxAQc
Résumé
Les concepts d’égalité et de laïcité, par delà leurs résonances philosophique et théorique, doivent s’incarner concrètement. C’est une chose de dire « Je respecte les hommes et les femmes, je respecte leur religion. » C’en est une autre d’en témoigner manifestement, de transmettre par ce que l’on est, par ce que l’on projette et par ce que l’on dégage, cette neutralité et cette reconnaissance absolue de l’égalité des sexes. Une manière non négligeable de le faire : ne pas imposer à autrui, dans la sphère publique, son allégeance religieuse via des signes visibles.
Les concepts d’égalité et de laïcité sont les pierres d’assise des valeurs humanistes, lesquelles transcendent celles des groupes, des cultures ou des religions. Plus universelles car apparentées au statut d’être humain plutôt qu’aux conventions religieuses ou culturelles, ces valeurs risquent moins de heurter les morales plus rigoureuses sans être d’emblée en contradiction avec elles.
Cela m’a fait à la fois sourire et tiquer, lorsque des adversaires de la Charte des valeurs se sont habilement auto-proclamés partisans de « valeurs qui excluent l’exclusion ». Pourquoi? Par ce que sur l’échelle des valeurs qui « excluent l’exclusion » auxquelles, en principe, j’adhère sans réserve, il faut bien établir des priorités. C’est le propre même d’une échelle ( soit-elle des compétences, des émotions, des prix, des bruits… ou des valeurs) d’induire l’idée d’un classement. Dans ma lutte contre toutes les formes de racisme, ma priorité va à celle qui touche la moitié de l’humanité : la subordination des femmes en raison d’une infériorité présumée par des idéologies dominantes.
De plus, une attention toute particulière doit être portée aux valeurs que l’on transmet aux enfants. Ceux-ci, bien plus que les adultes, sont malléables comme de la cire chaude. Il convient donc d’être d’une extrême vigilance lorsqu’on travaille avec eux et auprès d’eux, et de bien montrer que les hommes et les femmes sont égaux et ont les mêmes droits et obligations.
Or, les signes visibles, vêtement ou objet, symbole explicite ou implicite de sujétion des femmes, transmettent forcément un message aux enfants quant au statut et à la qualité de celles qui les affichent et de ceux qui les promeuvent. Ce message, formulé ou subliminal, peut être préjudiciable à l’acquisition d’une perception égalitaire des hommes et des femmes, à leur plein épanouissement en tant que fille ou que garçon.
Introduction
De nos jours, il est primordial que les voix de tous les peuples et collectivités qui se reconnaissent dans des valeurs humanitaires, de respect, de laïcité et d’égalité, s’élèvent, s’unissent, transcendent les discours violents et haineux.
En se dotant d’une charte laïque et égalitaire, notre modeste, mais dynamique communauté livre un message à la planète entière. Un message qui dit, clairement et simplement: « Ici, nous favorisons la séparation entre la religion et l’État. Ici, nous prônons l’égalité entre les hommes et les femmes. » Un message qui, sans en exagérer la portée, n’est pas insignifiant.
Dans ce mémoire, je reviens sur deux aspects qui ont marqué les discussions et débats sur la Charte des valeurs. Il s’agit d’idées déjà présentées sur mon blogue personnel et reprises sur le Huffington post Québec. Je tente de répondre aux principaux arguments des opposants au projet de Charte des valeurs, ceux que j’appelle amicalement les chartophobes, en questionnant le bien-fondé de leurs postulats. Également, je documente en quoi le voile, un signe ostentatoire lourd de sens, peut avoir une influence, dans les lieux de garde, sur les enfants en bas âge. C’est surtout ce dernier point qui m’amène présenter ce mémoire, car à ma connaissance, malgré son importance, il n’a été soulevé nulle part ailleurs.
Les enfants d’abord…
Première partie – Le voile : quelle histoire il raconte aux enfants?
Tout le monde sait que la période de la naissance jusqu’à six ans ou sept ans est cruciale pour le développement de l’enfant. Les pédagogues et autres spécialistes de l’enfance[1] ne cessent de réclamer plus d’attentions, de budgets, de programmes destinés à aider les tout-petits à grandir. C’est durant cette période:
- que se noue et se dénoue (si tout se passe bien) ce qu’on a appelé les complexes d’Œdipe et d’Électre
- que se structurent les bases d’une saine identité de sexe et de genre [2]
- que l’enfant développe un sentiment d’appartenance à un groupe sexué
- que se construit le sentiment de sa propre valeur
- que s’organise la capacité d’attachement[3]
- que l’enfant intériorise, au contact des adultes qui l’entourent, ce qu‘il en est d’appartenir à un sexe et comment se comportent les messieurs dames auxquels ils s’identifient, soit par similitude soit par complémentation.
Ici comme ailleurs, on occulte bien des questions dans le débat sur le voile. Celles que je pose ont été escamotées au bénéfice de propos simplificateurs. L’essentiel n’est-il pas que les enfants soient accompagnés, en garderie, par des femmes aimantes ? clame-t-on ça et là. Et bien non, pas tout à fait. C’est une pensée sympathique, mais un peu courte. Il faut aussi se demander ce que les enfants, eux, perçoivent de ce voile ? Comment le traduisent-ils ? Comment l’intériorisent-ils ? Comment celui-ci façonne-t-il leur perception de la féminité et de la masculinité ? Des questions, aussi muettes que fondamentales qu’il faut aborder.
Il est indéniable que le fait de côtoyer quotidiennement des femmes voilées a une incidence sur la représentation que se fait l’enfant de l’être féminin, du corps féminin. Même s’il s’agit du hijab, le fait que le visage ne soit vu que de face, tête recouverte, sans oreilles, sans cheveux et sans cou transmet inévitablement une image morcelée de la représentation humaine féminine.
Des bribes de l’histoire
Des bribes de l’histoire racontée par le voile aux tout-petits :
- Il y a une différente importante entre les hommes et les femmes (vous aurez compris qu’on ne parle pas ici des spécificités biologiques xx/xy )
- Les femmes doivent se comporter différemment, et plus différemment encore en présence des hommes
- Le corps de la femme, en tout ou en partie, est emprisonné alors que celui de l’homme est libre
- Le corps de la femme doit s’effacer du regard, s’éclipser
- La femme baisse les yeux au passage de l’homme
- La femme ne serre pas la main des papas, ce geste témoin de relations sociales conviviales
- La femme n’est pas autorisée à sentir le vent dans ses cheveux…
L’éducatrice aura beau être aimante et merveilleuse à plein d’égards, elle aura beau être consciente (ou inconsciente) de l’histoire racontée par son vêtement, elle n’a aucune prise sur ce celle-ci, inoculée de manière subliminale à l’enfant.
Les tout-petits apprennent par mimétisme
Dès la petite enfance, filles et garçons apprennent par mimétisme. Ils apprennent l’affection, l’amour, la joie, la peine, la peur, le dégout, la tendresse, la fierté, la honte, la colère via les signaux émotionnels que renvoie le visage de l’adulte qui en prend soin. Par-delà le langage, les micro-expressions et micros-mouvements faciaux font comprendre à l’enfant ce qui est en train de se passer dans sa relation avec son interlocuteur. Mais ils lui apprennent aussi ce qui se joue dans la relation de l’interlocuteur adulte, dans ce cas-ci son éducatrice, avec les autres enfants, avec les autres adultes, avec les autres hommes et femmes…
Pour favoriser l’échange, la communication, la reconnaissance de ce qui se joue dans une interaction humaine, le visage en entier doit être pleinement visible et accessible. Dès tout-petit, l’enfant va décrypter les émotions de la personne qui en prend soin via tous les muscles qui s’activent sur la totalité de son visage. Cela, dans la mesure où ceux-ci sont visibles et perceptibles. Je vous invite à explorer le travail de Giacomo Rizzolatti[4] qui a révolutionné la notion d’empathie avec sa découverte des neurones miroirs dans les années 1990.
Dans cet esprit, un exemple… Plus près de nous, le professeur Pierre Gosselin, de l’Université d’Ottawa, a montré qu’un enfant ne distingue pas entre la peur et la surprise avant l’âge de 9 ou 10 ans.[5] Or, la différence entre ces deux émotions est principalement marquée par une disparité dans la zone du front… cachée par le voile
Enfin, les tout-petits apprennent aussi par modélisation, c’est-à-dire par identification aux adultes qui gravitent dans leur univers. C’est maintenant chose connue : la manière dont ces adultes témoignent de ce que c’est qu’être une femme ou un homme, la manière dont ils et elles exercent les tâches et activités qui sont socialement dévolues à leur sexe, la manière dont ils et elles transigent et évoluent avec les personnes de leur sexe et de l’autre sexe influencent autant l’enfant que tous les discours. Je suis une fille, donc je reproduis les comportements et attitudes des femmes… Idem pour les garçons avec les hommes.
Combien de fois ai-je répété aux enseignant/es que j’aidais à dispenser les cours d’éducation à la sexualité : les mots et le langage pour dire les faits sexués et sexuels sont importants mais les modèles d’hommes et de femmes qui les entourent le sont tout autant. Quels messages livrent ces femmes et ces hommes? Que véhiculent-ils? Comment évoluent-elles elles-mêmes ?
Il n’y a pas que les mots, mais il y a aussi les mots
Et puis, les enfants sont insatiables de curiosité. Par delà la transmission d’informations factuelles ou scientifiques, les mots se rattachent à une culture, à une vision du monde, à une expérience de vie comme femme ou homme. Les mots ont du pouvoir. Ils contribuent à illuminer l’estime de soi, comme fille ou comme garçon. Ou à l’assombrir. Les bambins, entre trois et six ou sept ans sont inlassablement fascinés par la différence des sexes qu’ils découvrent et explorent, qui les aide à s’identifier, à socialiser, à se rassurer. Que répondra l’éducatrice au bambin qui lui demande pourquoi elle porte le voile et pas son mari ? Que dira-t-elle à la gamine qui veut savoir pourquoi elle ne serre pas la main de son papa ? On a beau croire que les éducatrices sont de bonne foi, qu’elles ne sont pas là pour enrégimenter les enfants ou les rallier à leur foi ou culture religieuse, il faut se demander comment elles répondront aux questions sur la sexualité : « Comment il rentre le bébé dans le corps de la maman ? », « Pourquoi y’a des monsieurs qui aiment d’autres monsieurs ? », «Le clitoris, ça sert à quoi? » Quelles seront leurs réactions et interventions devant l’expression de la curiosité sexuelle enfantine ? Le jeu sexuel ? La masturbation d’Albert ou de Zoé ?
Réprouver le port du voile pour combattre le racisme…
Le voile est un vêtement lourd de valeurs négationnistes et réductrices à l’endroit des femmes et des hommes. Il est tout sauf neutre. Même rose et fleuri, lorsque la tendance est au rose et aux fleurs, il n’est pas un accessoire de mode. Par conséquent, il n’a pas plus sa place dans les lieux d’éducation des enfants, fussent-ils privés ou publics, que n’importe quel autre vêtement, signe ou objet, transmettant un message contraire au respect de la pleine liberté et de la pleine égalité des êtres humains entre eux.
Sexisme, misogynie et détestation des femmes sont l’expression du racisme planétaire le plus répandu, destiné à cette moitié de l’humanité constituée de la « race des femmes ». Dans cette perspective, réprouver le port du voile, c’est combattre le racisme. Il faut le répéter puisque dans une lecture ou interprétation de premier degré, cela peut ne pas être évident.
Enfin, désapprouver le port du voile, je le redirai jusqu’à épuisement, ne signifie pas combattre les femmes qui le portent. Bien au contraire. Cette simplification est carrément malhonnête. Moi qui ai toujours priorisé la solidarité avec les femmes, avant tout autre mouvement d’appui, je suis bien loin de me contreficher que des femmes puissent perdre leur emploi en raison d’un apparat religieux qu’elles se sentent incapables de laisser tomber en certains lieux. Du fond du cœur, je souhaite que cela n’arrive à aucune. Mais…
Mais à titre de personne responsable, de pédagogue, d’ex-éducatrice en garderie, d’ex-formatrice auprès du personnel œuvrant auprès de la petite enfance, de mère et de grand-mère, j’ai d’abord à cœur l’épanouissement des enfants, lequel passe par la neutralité, indissociable de l’égalité : Égalité entre les garçons et les filles, entre les hommes et les femmes, lutte aux stéréotypes sexuels et sexistes, activités mixtes accessibles aux deux sexes…
J’ai confiance que tous les hommes et toutes les femmes, incluant celles pour qui le voile est partie prenante de leurs habitudes culturelles ou religieuses, comprendront cet impératif pédagogique égalitaire et laïque.
Deuxième partie – Les cinq arguments des "chartophobes"
J’ai retenu, pour les besoins de ce texte, cinq des principaux arguments des pourfendeurs du projet de Charte des valeurs. Il y en eut certes quelques autres, mais ceux qui suivent font inlassablement surface.
1. En interdisant le voile, on fait perdre leur emploi aux femmes
À ceux qui objectent qu’il appartient aux femmes qui portent le voile de décider ou pas de l’enlever, je dis d’accord. Et j’ajoute : Pourquoi donc présumer que les femmes concernées refuseront d’enlever leur foulard ? Ceux qui martèlent cet argument, un brin misérabiliste me semble-t-il, jugeraient-ils ces femmes inaptes à comprendre et à accueillir leur plein droit de pratiquer leur religion en dehors de la sphère publique? Ne pourraient-elles, au contraire, être tentées, voire ravies, de saisir la balle au bond et de s’aérer doucement la tête et l’âme ?
Les anti-charte ne connaissent donc aucune femme qui pourrait avoir besoin, ou envie, d’une invitation pour enlever ce qu’elles ressentent comme une chape de plomb sur leurs épaules? Moi, si. Et surtout, qu’on ne me fasse pas le coup du « mépris de ceux et celles qui veulent décider à leur place ». Il n’y pas plus de mépris du côté des pro-charte que du côté des anti-charte qui semblent vouloir à tout prix garder les femmes bien engoncées dans leur voilure!
Dans le débat qui a fait rage, j’ai parfois eu l’impression de me retrouver dans un épisode des Bobos[6], avec Étienne et Sandrine Maxou se gargarisant d’une potion de petites fleurs bleues, se délectant de l’image, que dis-je du mirage, de leur grande âme : « Voyez comme nous sommes beaux, bons et amoureux des autres cultures ! Voyez comme ces pro-charte sont laids, mauvais et ceintures fléchées ! »
Plus sérieusement, comme l’affirmait le Conseil du statut de la femme[7] en 2011, l’argument voulant que l’interdiction du port de signes religieux mine l’intégration des néo-Québécoises et néo-Québécois est «fallacieux puisqu’il suppose d’abord que les personnes immigrantes sont croyantes et pratiquantes à un point tel qu’elles souhaiteraient manifester leur foi durant leur travail. (…) La Commission des droits[8] a réalisé une étude qui dément cette croyance.» (p. 93) En fait, les immigrants n’ont pas plus de ferveur religieuse que les personnes nées au Québec (CDPDJ, 2007).
Enfin, dans un autre ordre d’idée, pourquoi préjuger que ces femmes sont parfaitement incapables ou refusent de prendre en compte les valeurs et impératifs collectifs de leur société d’accueil? Pourquoi conclure qu’elles sont inaptes à faire passer les principes de leur communauté d’accueil avant leurs principes religieux ou culturels, personnels ou communautaires?
2. Ce sont les femmes voilées qui sont visées
Ce fut la ligne-boulet. La caricature d’argument. Comme si l’État québécois, Pauline Marois en tête, étaient non seulement islamophobes, mais également misogynes et sexistes et que leur intention voilée était de renvoyer les femmes musulmanes à la maison à servir et à vénérer leurs maîtres.
Si les femmes voilées sont visées et bien, elles le sont dans la perspective du double message suivant : Ici, nous vous demandons à tous et toutes de ne pas porter de vêtement-symbole religieux. Mais, nous vous disons du même souffle que vous existez comme être humain à part entière, que nous vous respectons pour ce que vous êtes et non comme produit de votre culture d’origine.
Le port du voile, redisons-le encore, n’est pas ordonné par la religion musulmane. Le philosophe algérien, Malek Chebel, également anthropologue, historien et psychanalyste l’expliquait encore récemment dans une entrevue accordée à Denise Bombardier.[9] Il revient en force, imposé par les hommes et imams qui interprètent les préceptes musulmans à leur manière et soumettent les femmes à leur credo.
Toutes les femmes musulmanes ne portent pas le voile, comme on semble vouloir le faire croire ici et là. Selon les données disponibles, entre 10 et 20% des femmes musulmanes portent le voile au Québec (Radio-Canada, 2007)[10]. J’observe sensiblement la même chose en France, où je passe plusieurs mois par an. J’y connais personnellement deux femmes musulmanes avec lesquelles j’ai eu des collaborations professionnelles. L’une est médecin. L’autre enseignante. Elles n’ont jamais porté le voile dans l’espace public.
Enfin, faut-il rappeler que la très vaste majorité des femmes dont il est ici question, voire toutes, viennent de sociétés qui favorisent les droits du groupe au détriment de ceux de la personne. Avoir des droits personnels est une liberté qui s’apprivoise.
3. Regardez la France ! Elle a raté sa laïcité
Cet argument a été souvent brandi. Sur les médias sociaux, on me l’a servi chaque fois que j’ai évoqué l’expérience française pour dire que les femmes n’y ont pas quitté leur emploi lorsqu’on leur a demandé d’enlever le voile dans les services publics. Cela est un fait. Connu et reconnu.
Je ne dis pas que la France est le modèle à suivre. Je dis : attention de ne pas tout mêler. La France a peut-être raté l’intégration de ses immigrants et surtout sa décolonisation. Elle n’a pas raté sa laïcité. Chose certaine, c’est moins la question du voile qui a perturbé la paix sociale en France que les catholiques intégristes qui sont descendus dans la rue par millions pour s’opposer au Projet de loi Savary[11] qui visait à créer un grand service public unifié et laïc de l’éducation nationale.
Chez nous, le côté cocasse de l’affaire c’est que, si la tendance se maintient, ce seront les intellectuels québécois qui joueront ce rôle, main dans la main avec les religieux.
4. Cette Charte est xénophobe et raciste !
Argument facile. Et compréhensible. Compréhensible parce que les quelques racistes égarés qui se sont portés à la défense du projet de charte ont exacerbé la mauvaise foi de ses adversaires qui se sont dépêchés d’étiqueter le message et tous ses messagers de racistes et de nourrir la confusion. Il est devenu ardu, voire courageux, dans ce contexte, de défendre ce projet. Dans cette foulée, il m’est arrivé plus d’une fois de rencontrer des gens qui taisaient leur appui à la Charte de peur d’être perçus, dans leur milieu, pour des ségrégationnistes. Si les partisans de ce projet de laïcité et d’égalité sont racistes et xénophobes, c’est dans l’imaginaire de ses détracteurs qu’ils le sont. Le Québec, c’est de notoriété planétaire, n’est ni l’un ni l’autre et jouit d’une formidable réputation de peuple accueillant, ouvert sur les autres et sur le monde.
La tolérance, vertu souhaitable entre toutes, est nulle si elle dérape dans l’apathie. Que chacun fasse ce qu’il veut, Vivre et laisser vivre… Soyons sérieux ! Pour accueillir réellement autrui, encore faut-il établir les règles en usage dans sa propre maison. Ceci, dans la perspective précise d’ouvrir toute grande la porte à ceux et celles qui souhaitent vivre avec nous, en toute connaissance de leurs droits et devoirs.
Tolérance, respect, ouverture aux autres ne sont pas, hélas, des valeurs partagées par tous les peuples du monde. Constater que des cultures sont intolérantes et agressives face aux autres n’est ni xénophobe ni xénophile. C’est un fait. Constater que le voile s’apparente davantage à une bannière qu’à un accessoire de mode n’est ni féministe ni antiféministe. C’est un fait. Observer que des cultures ne traitent pas équitablement les femmes et les hommes n’est pas un jugement de valeur. C’est un fait. Et ces faits ne sont pas des faits québécois mais des faits universels.
5. Nos valeurs excluent l’exclusion
La force de ce slogan, brandi par les adversaires de la Charte, a été de suggérer que ceux et celles qui la défendent, en tout ou en partie, sont forcément des crétins racistes et xénophobes, intégristes, pures laines mitées… et miteux.
Après un bref instant de déstabilisation, on se rend vite compte que la formule-choc peut être reprise des deux côtés de la clôture.
Comme je l’ai évoqué plus haut, je revendique des valeurs qui excluent l’exclusion. Ne nous racontons pas de sornettes : Dans l’échelle des "valeurs qui excluent l’exclusion", il nous faut établir des priorités. Pour ma part, j’ai beau être contre tous les racismes, je priorise la lutte à cette forme de « racisme » qui touche la moitié de la population du globe : cette discrimination fondée sur une prétendue supériorité de l'homme sur la femme.
Affirmer la laïcité, c’est faire un pas vers une égalité réelle entre femmes et hommes.
Conclusion
Courageux et imparfait, ce projet de charte, mis de l’avant par le gouvernement de Pauline Marois, a été critiqué haut et fort par des Québécois/es auto-proclamés intellectuels ouverts, humains et accueillants, et par les Canadiens, de Harper à Mulcair, qui ne supportent pas que le Québec assume sa destinée. Les deux groupes tentant, l’un et l’autre, de tasser le projet de laïcité dans le coin droit de l’arène identitaire.
Proposée pour être discutée, cette charte est devenue pour nombre de ses critiques irréfléchis, la dernière cartouche à la mode pour tirer à bout portant sur la première ministre et sur le Parti Québécois.
C’est quand même étonnant de constater que, dans tous les pays où s’est posée la question de la laïcité, les intellectuels ont été massivement pour. Sauf ici semble-t-il, du moins jusqu’à récemment.
S’il faut que cela se dise, il faut aussi, et surtout, que cela se voie : Les hommes et les femmes, les filles et garçons sont libres et égaux. Le slogan est joyeux : Garçons et filles, hommes et femmes, ensemble, dehors, à la piscine, cheveux au vent; dedans, à la dinette, au marteau ou au fourneau !
[1] Depuis Jean Piaget, fin du 19e, suivi par des dizaines d’experts de tous les continents, jusqu’à l’UNESCO qui, en 2010 statue que les huit premières années de vie sont cruciales et appelle les gouvernements à se mobiliser pour développer et améliorer sous tous leurs aspects la protection et l’éducation de la petite enfance.
[2] Robert Stoller http://fr.wikipedia.org/wiki/Robert_Stoller, John Money http://fr.wikipedia.org/wiki/John_Money etc
[3] John Bolwby http://fr.wikipedia.org/wiki/Théorie_de_l'attachement suivi par Boris Cyrulnik
[4] http://fr.wikipedia.org/wiki/Neurone_miroir
[5] Voir à cet effet les travaux du professeur Pierre Gosselin sur les expressions faciales des émotions et en particulier sur la peur et la joie http://www.citeulike.org/user/emromesco/article/9851075
[6] http://lesbobos.telequebec.tv
[7] http://www.csf.gouv.qc.ca/modules/fichierspublications/fichier-29-1409.pdf
[8] http://www.cdpdj.qc.ca/publications/ferveur_religieuse_etude.pdf
[9] http://www.journaldemontreal.com/2013/11/29/tu-ne-peux-pas-imposer-tes-pratiques-religieuses-dans-un-pays-ou-la-majorite-nest-pas-musulmane
[10] http://www.radio-canada.ca/actualite/v2/enjeux/niveau2_13797.shtml#
[11] http://fr.wikipedia.org/wiki/Projet_de_loi_Savary
L’auteure de ce mémoire
Sexologue, auteure, animatrice, conférencière, consultante et formatrice, Jocelyne Robert est une femme de mots et d’opinion. Ses analyses portent sur les phénomènes socio-sexologiques de société.
Dès le début des années 70’, elle co-fonde la première « garderie populaire » au Québec. En 1983, elle participe à la fondation de la première maison d’hébergement pour femmes victimes de violence conjugale à Lac-Mégantic. En 1985, avec dix femmes venant de tous horizons, elle s’investit dans le processus Décisions 85 – Conférence nationale sur la sécurité économique des Québécoises. Elle y défend les dossiers de lutte à la violence faites aux femmes et d’éducation à la sexualité et au sexisme. Elle a publié une douzaine d'ouvrages traduits en vingt langues. Parmi les plus connus figurent le best-seller « Full sexuel », destiné aux adolescents, son essai « Le sexe en mal d'amour » dans lequel elle s’élève contre les phénomènes de l'hypersexualisation et de la pornographisation de l'espace public et sa trilogie Ma sexualité, destinée aux enfants.
Active sur les médias sociaux, elle tient les blogues http://jocelynerobert.com et http://quebec.huffingtonpost.ca/jocelyne-robert/ . Ici et en France, elle est régulièrement invitée sur différentes tribunes pour commenter des dossiers d'actualité. Le 8 mars 2013, elle était sur le plateau de l’émission française Les Maternelles avec la ministre des droits des femmes, Najat Vallaud Belkacem sur la question « Quelle éducation pour nos filles? ». Enfin, elle signe régulièrement des textes d'opinion dans les journaux, revues et magazines.
Son travail a été salué par de nombreux prix dont, les plus récents : Prix Reconnaissance UQAM 2007 décerné par la Faculté des sciences humaines pour la qualité de son travail de vulgarisatrice et pour son apport exceptionnel au débat public sur la place d'une saine éducation à la sexualité; Prix Femme de mérite 2010 du Y des femmes, catégorie Éducation, pour son action et sa contribution à l’avancement de la cause des femmes. Prix Femme d’exception de la Ville de Longueuil en 2011 pour la qualité exceptionnelle de son parcours et de son rayonnement.