jocelyne robert

Ulysse est en Europe. Je devais y être aussi mais j’ai décidé de passer mon tour puisque j’y retourne en mars puis encore en juin, pour le travail. Les décalages horaires trop fréquents me fatiguent.

Je suis jalouse. Pas pour ce que vous pouvez imaginer.

Ulysse me raconte au téléphone que jeudi, dans le TGV Paris-Genève, il était assis à côté d’un sympathique très petit petit vieux, sourd comme un pot, et qui ronflait comme un sapeur pompier.

– "Pauvre chéri, que  je lui dis. Et toi qui voulais profiter de ce trajet pour roupiller et rattraper un peu le décalage horaire…"

– "Mais non mon amoure, tu ne devineras jamais, le très petit vieux, c’était Charles Aznavour."

La star était là. Le mythe Charles Aznavour était là,  seul, sans escorte ni agent, sans accompagnateur, sans imprésario. Seul et tout petit petit.  

 

– "Oh Mon Dieu !  Lui as-tu parlé ? Comment il était ? Qu’est-ce qu’il t’a dit ? Était-il gentil ? RACONTE !!!"

– "Bien… il était là, comme n’importe quel passager de train, mais en vieux, en très vieux et en très petit. Pas assez grand pour mettre son sac dans le rangement au dessus.  Il tenta de monter sur la banquette pour y arriver, faillit tomber à la renverse, me regarda, l’air de dire : « Vous pourriez m’aider au lieu de rester planté là comme un idiot ! »

Il était tout simple. Un peu effacé. Comme le sont la plupart des petits petits vieux, des petites petites vieilles.  

Je l’ai aidé avec son bagage.  Il a râlé un peu sur la nourriture servie dans le train. Surtout sur le fromage qui était froid, évoquant le bonheur de manger à la maison.  Sans exubérance, il était assez ouvert à bavarder avec son voisin de train. Mais pas trop. C’était compliqué d’échanger car il fallait hurler. Il est vraiment sourd. 

Mais vraiment sympa, accessible, comme un homme ordinaire, comme un homme vulnérable, sans nulle prétention. Inconscient ou insouciant de l’effet que ça me faisait d’être assis à ses côtés. J’étais tout près de lui et je pensais à toi. Je me disais Qu’est ce que ma Jojo, qui connaît par cœur toutes ses chansons, serait heureuse de couler ces quelques heures de sa vie ainsi collée sur son idole! 

Je lui ai raconté que le premier spectacle que moi, Français, j’avais vu à Montréal, c’était lui qui faisait ses supposés adieux, à la Place des Arts en 2002. Tu te souviens…? C’est toi qui m’avais invité.  Il a opiné vaguement comme s’il cherchait dans sa boîte à souvenirs, le classeur Montréal 2002…"

 

–  "Et encore ???

–  Bien…  rien de plus. Il a dormi, la bouche ouverte, et ronflé.

–  Oh mon Dieu! Tu te rends compte ?! Tu as regardé Aznavour dormir ! Tu l’as entendu ronfler ! Je suis folle de jalousie. 

–  À vrai dire, je ne l’ai pas  regardé dormir bien longtemps car je me suis endormi moi aussi.

– Tais-toi! Je te déteste . Comment as-tu pu t’endormir à côté d’Aznavour comme si c’était ton copain de rugby ! 

Et puis non, je t’envie. J’envie cette simplicité. Ronfler avec Aznavour. Vous avez ronflé ensemble. À l’unisson j’espère. Au diapason peut-être?  Ça, c’est de la complicité masculine. Tu te rends compte ? Quelle intimité. Ce que je donnerais pour ronfler à côté du grand Charles!" 

 

–  "Et puis , quoi d'autre ? Allez , RACONTE encore !

–  C’est tout. Rien de plus. Rien de particulier . Un petit petit vieux, à la fois fragile et solide. Attendrissant tellement il est minuscule .  

–  Et puis oui, quelque chose de spécial finalement, que j’ai trouvé très émouvant:   Entre ses périodes de somnolence , il pianotait sur son Ipad, rythmiquement, en marmonnant. Comme s’il composait une chanson…"

 

Si l’an prochain, Charles Aznavour chante un refrain qui évoque Paris-Genève, vous saurez qu’il l’a composé entre deux ronflements, sur son Ipad . Assis tout près de mon Ulysse.

 

Non mais vous vous rendez compte?! Courir après les notes d'une chanson, sur un Ipad, à 90 ans. Émerveillée je suis.

 

 Et dire que je devais être là… 

______  

Note:

Charles Aznavour aura 90 ans en mai 2014.  Il réside à Genève, en Suisse, où il est l'ambassadeur de l’Arménie et représentant permanent de ce pays auprès de l'ONU. Il est aussi, depuis 1995, représentant permanent de l'Arménie auprès de l'Unesco.

 

Pin It
Publié dans : Arts et spectacles, Culture et Société, Mythes, Vieillir
Avec les mots-clefs : , , , , , , , , , , ,

9 commentaires

  • Commentaire de renée dion — 4 février 2014 à 20 h 12 min

    Quels bons souvenirs,
    Azna
    Aznavour. Dans la vingtaine ma fille écoutait…quoi? La bohème.

    Et moi j’étais pognée à d’autres chansons d’azna
    Comme:
    Parce ce que tu crois
    Qui?
    Et pourtant
    Et moi ,je ne sais pas

    Comme j’ai été partagée entre Pink Floyd, Zeppelin et Aznavour ( et J,-P Ferland…vous rappelez -vous de « Jaune »?)
    Il y avait aussi eu Lucienne Délisle et « L’amant de saint-jean », dans les années trente, c’était pas ;a Bolduc (rire)
    Renée

  • Commentaire de Mimi roy — 3 février 2014 à 14 h 28 min

    Merci d’avoir partagé ce beau moment. Moi aussi j’aurais voulu être à sa place …:)

    Mimi
    Envoyé de mon iPad

  • Commentaire de Jocelyne Robert — 3 février 2014 à 12 h 21 min

    🙂 Merci Miss  Mélanie! 

  • Commentaire de Mélanie — 3 février 2014 à 12 h 19 min

    super billet, Miss Robert, you’ve made my Monday… j’ai bien rigolé, car oui, le pauv’ Charles est exactement comme Ulysse l’a décrit…:-)
    amitiés toulousaines et une semaine positive, sereine, optimiste! Mélanie

  • Commentaire de Jocelyne Robert — 2 février 2014 à 23 h 05 min

    On partage alors ! L’anecdote, le grand Charles , le surnom… Mais pas Ulysse 😉

     

  • Commentaire de Jocelyne Boileau — 2 février 2014 à 23 h 01 min

    Merci pour cette anecdote que je qualifie de plus que savoureuse.
    Je me serais mise dans le même état que vous et comme mon prénom est aussi Jocelyne et que je suis une fan finie de Charles Aznavour depuis toujours, j’ai fait comme si Ulysse m’avait aussi écrit à moi (enfin un peu) lorsqu’il parle de « Jojo » qui est également mon surnom.
    Une très douce et très belle anecdote et tellement bien décrite.
    Jocelyne Boileau

  • Commentaire de Christine Hernandez — 2 février 2014 à 11 h 38 min

    Touchant. Ça me rappelle mon voyage en bus entre Ottawa et Montréal, aller-retour en plus, avec le grand, très grand homme qu’il était et qu’il est encore plus maintenant, Dany l’Académicien. Locace aux lendemains de l’élection d’un autre grand homme Barack. Volubile, charmeur et séduisant mais simple aussi, attentif, à l’écoute …

  • Commentaire de Jocelyne Robert — 2 février 2014 à 8 h 16 min

    Merci beaucoup  Lyne. Y’a des billets comme ça qui ne servent qu’à répandre des bouffées d’air frais.

    Et que je lis qu’ils ont eu cet effet, c’est une autre bouffée d’air frais qui m’envahit 😉

  • Commentaire de Lyne Drapeau — 2 février 2014 à 8 h 11 min

    Madame Robert,
    Vos billets sont toujours intéressants, bouleversants, déstabilisants, mais celui-ci est tout à fait charmant…vous faites vraiment une très mignonne Groupie!
    Assurément si monsieur Aznavour nous fait l’honneur de nouvelles chansons, nous y serons particulièrement attentifs.
    Salutations

Laissez un commentaire