Qui aurait dit que l’argument sado-maso aurait bonne presse ? C’est pourtant ce qui se passe ces temps-ci. À tort et à travers, les pratiques bdsm¹ deviennent un vrai fourre-tout, prétexte à justifier l’injustifiable. Pensons, pour ne citer qu’un seul exemple, à Jian Ghomeshi qui, accusé d’agressions sexuelles, invoque pour sa défense qu’il était friand de pratiques sado-maso et que ses présumées victimes étaient consentantes.
Pour écouter, sur le sujet, l’entrevue avec Paul Arcand, cliquer ici .
Le consentement
Commençons par le commencement : en matière de sexualité comme en toute autre, un consentement n’est jamais bétonné. Il se renouvelle au fur et à mesure du déroulement d’une activité commune ou d’un partage. Faisons une analogie toute simple. Si vous m’invitez à manger chez vous et que j’accepte, je consens à partager un repas avec vous. Cela ne vous autorise pas à me faire manger n’importe quoi. Je ne suis pas tenue de manger ce dont je n’ai pas envie, ni des quantités gigantesques, ni des aliments que je n’aime pas ou qui ne me conviennent pas.
On s’entendra sur l’heure du repas, vous me demanderez sans doute si j’ai des intolérances ou des préférences alimentaires, si je suis plutôt vin rouge, plutôt vin blanc ou plutôt H2O, si je mange de tout… Je ne peux pas savoir à l’avance si je vais en reprendre ou pas ni si je voudrai du dessert. Accepter un premier plat ne signifie pas que vous pouvez m’en remettre trois fois. Mais il est possible que j’en redemande. Possible aussi que je ne termine pas mon assiette. Il en va de même pour le partage sexuel, cela me semble tellement évident que je m’étonne moi-même d’être en train de le préciser.
Digression sur le consentement
Cela étant, avec internet qui distille les pires faussetés sur les femmes adeptes de domination sexuelle, la notion de consentement « renouvelable » est de plus en plus floue aux yeux de plusieurs.
Je pense à ces jeunes hommes qui diffusent sur le web et réseaux sociaux des images ou vidéos de leur ex-copines, nues ou pendant une activité sexuelle. «Je ne l’ai pas forcée, elle voulait», m’a dit récemment l’un d’eux. Il n’avait pas compris que le consentement n’est pas élastique. Il fallut lui expliquer qu’elle avait un jour consenti à un rapprochement sexuel, avec lui, pas à devenir porn star, malgré elle.
L’analogie vaut aussi pour les pratiques sexuelles de soumission-domination. Jouer au maître-esclave et accepter de se faire menotter ne signifie que l’on consent à se faire frapper ou étrangler.
Depuis quelque temps, les pratiques sado-maso sont invoquées à toutes les sauces pour justifier des actes de violence commis sur les femmes. Tentons de clarifier…
La dysfonction sado-maso
La personne au prise avec cette déviance sexuelle ne peut pas fonctionner sans avoir recours à la souffrance (ressentie, prodiguée ou les deux). Elle est incapable d’obtenir de la gratification ou de la satisfaction érotique autrement qu’en ayant recours à la douleur. Le trouble, profondément lié à son histoire personnelle, l’a amenée à imbriquer érotisme et souffrance : pour jouir, elle a besoin de punir ou d’être punie, de châtier ou d’être châtiée, d’avoir mal ou de faire mal. Quelque chose s’est inscrit dans son développement psycho-sexuel et a cristallisé une personnalité érotique déviante.
La plupart du temps, cette personne souffre et souhaiterait « guérir ». Elle ira souvent consulter, de son plein gré, pour être aidée.
Les jeux sado-maso
C’est à cette catégorie qu’on réfère le plus souvent lorsqu’on invoque ici et là les pratiques sado-maso. Bien souvent, les personnes concernées en sont friandes sur une base occasionnelle ou sporadique. Avec un partenaire consentant, souvent à l’intérieur d’un couple, stable ou d’occasion, elles mettent à exécution des fantasmes et fantaisies sadomasochistes, de soumission-domination.
Ici, nous sommes en présence d’individus capables d’excitation et de satisfaction sexuelles sans avoir obligatoirement recours à ces pratiques. Simplifions en disant que pour la première catégorie de personnes, la réponse sexuelle ne peut se décliner sans l’apport des ingrédients sado-maso, alors que pour la présente catégorie, la réponse sexuelle avec ingrédients sado-maso est un jeu, une diversion ou une variation sur le thème.
Le prétexte sado-maso
Voilà un phénomène relativement nouveau qui débarque sur la place publique et qui, si on l’examine de près, a peu à voir avec la déviance sado-maso ou avec le jeu érotique sado-maso. Nous assistons ici à la manifestation d’attitudes et de comportements machistes et misogynes consistant à soumettre, inférioriser et brutaliser la femme via la sexualité. Le rapport sexuel devient le lieu d’expression du pouvoir et de la domination physique exercés sur les femmes. En fait, ça n’est pas tant le phénomène qui est nouveau que sa dénonciation sur la place publique.
Le personnage-agresseur se croit au-dessus de tout et jamais il ne lui effleurerait l’esprit qu’il puisse avoir un problème et besoin de consulter. S’il est forcé de s’expliquer, lors d’une plainte pour agression par exemple, il aura tendance à mettre sa brutalité et ses gestes violents sur le compte de ses préférences sado-maso, préférences auxquelles la présumée victime aurait consenti. À mon avis, il est bien plus question ici de réalités sadomisochistes que de fantaisies sadomasochistes.