jocelyne robert

Au lendemain du décès de mon frère, complice de toute ma vie, j’ai écrit le texte plus bas, Mon frère à moi. Lui rendre hommage, le saluer, honorer son passage marquant parmi nous était pour moi incontournable dans ce contexte de covid qui nous force à voir partir parents et amis sans se réunir pour les pleurer, les célébrer, se consoler ensemble.

 

Aussi, en complément, une réflexion qui en a ému un grand nombre, sur les vieux et le vieillissement lors d’une entrevue radio avec Bernard Drainville. Vous pouvez l’écouter en cliquant sur la photo ci-contre.

 

MON FRÈRE À MOI 🌹

Mon frère, complice d’une vie, est mort.

Un grand nombre de mes ami.es,  hommes et femmes, l’ont connu personnellement. Et aimé. Ça ne pouvait être autrement : il était profondément humain, beau, attachant, rêveur, affectueux et ai-ma-ble. Pas aimable dans le sens de gentil mais aimable au sens étymologique du terme: qui inspire et mérite d’être aimé avec ses qualités et défauts.

Vous êtes plusieurs aussi à vous être attachés à lui sous le prénom de Jean-Jean, ce jeune homme rebelle et émouvant de mon roman Mensonges d’Enfance.

Par nature, il était sculpteur. Par nécessité, il était soudeur. Comme il ne faisait jamais rien à moitié, il était devenu le plus grand soudeur au monde. Un artiste-soudeur de mer, réquisitionné sur des vaisseaux en mauvaise posture, pour des jobs dont il était le seul capable. Il a visité les cales de tous les bateaux de la planète. Il s’y est brulé parfois dans des espaces réduits, y a suffoqué des dizaines d’années durant, avec les rats, mal protégé, développant amiantose, emphysème, cancer et autres maladies pulmonaires.

Il parlait de son travail d’une grande minutie, avec émerveillement. Chacun de ses exploits, dans les entrailles d’un bateau, représentait pour lui la découverte d’un pays lointain, d’un monde rêvé, d’une langue, d’une humanité, d’un équipage…

Quand il a cessé de travailler il y a une douzaine d’années, il est devenu maître à bord de son petit voilier, en solitaire, sur le lac Champlain . Puis, à force de travail et de créativité, il a fait émerger derrière sa maison un étang poissonneux, digne d’un conte de fée ou de Disney World.

Un matin d’été, il y a quelques années, au chalet, j’aperçus une voiture dans l’allée à 6 h du matin. Il avait décidé de me faire une surprise en prenant la route vers mon petit lac au milieu de la nuit. Je l’avais regardé par la fenêtre quelques instants avant de sortir en nuisette. Tranquillement assis, il écoutait les oiseaux, dans l’attente de notre réveil. Avec une santé déjà bien hypothéquée, il avait conduit, seul, toute la nuit pour venir dire bonjour et voir de ses yeux ma Bucolie. C’était lui. Tout à fait lui. Fou raide.

Il était reparti comme il était venu, vers une destination opposée pour aller surprendre Claude, son ami de jeunesse, qu’il n’avait pas vu depuis cent ans.
— « Il t’attend ? lui avais-je demandé.
— Non je n’ai même pas son adresse. Il m’a bien décrit sa maison au bout d’un rang, et son village. Je vais le trouver.»

Gilles a été mon héros. Un héros tissé, maille par maille, à même le tricot de mon enfance. Enfant, j’aurais donné ma vie pour lui.

Avant-hier, il a fait un effort ultime, s’est lavé, rasé, coiffé. Il a dû mettre un temps fou à se faire beau, chaque micromouvement le forçant à s’arrêter pour attendre le prochain filet de souffle. Il est sorti sur la terrasse au soleil, a félicité sa femme pour ses belles plates-bandes. Puis à deux mètres de distance, il a souri et causé un brin avec sa fille Sophie qui passait le voir avec sa petite chienne.

Depuis toujours, les animaux le prenaient pour Francois d’Assise, se blottissaient contre au premier regard, l’adoptaient. Déjà, il avait soigné et guéri une tourterelle blessée. Remise en liberté, elle refusa de le quitter. Pendant des années, jamais on ne le vit sans celle-ci juchée sur son épaule. Il lui avait appris à parler.

Le soir tard venu, tout beau, il s’est assis dans son fauteuil. Et ce fut la fin. Étrangement, il avait éteint le téléviseur que, toute sa vie durant, il oubliait de fermer. Je suis certaine que ce geste inhabituel fut conscient. Qu’il a alors, lucidement, éteint les sons, les images, les bruits de sa vie.

Sans être mort de la Covid, c’est quand même elle qui l’a tué. Déjà confiné à la maison par la maladie, cet homme d’action et de rêves a mortellement souffert ces derniers mois, d’être privé des gestes affectueux de ses proches et des turbulents câlins de ses petits-enfants.

Il aimait les roses rouges. Une à la fois. 🌹

 

 

 

 

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