La job de sexologue est démonisée. Devant une sexologue, l’interlocuteur s’imagine devant une alternative: Voilà une obsédée sexuelle qui ne pense qu’à ça! ou, Elle doit avoir de joyeux problèmes sexuels celle-là!
Si ça n’était que ça, ce serait pas mal. Mais il y a un autre niveau de « tabouisation ». Le seul, en fait, qui m’indispose vraiment: on ne parle jamais que de cul aux sexologues. Je le sais, ça fait 30 ans que, même en dehors de ma pratique professionnelle, on ne me parle que de cela. J’ai beau avoir fait des incursions en philo et en sciences sociales, aimé le chant, le théâtre et les philosophies orientales, me défendre au scrabble, m’être formée au langage non verbal, avoir milité en politique, être socialement engagée, parlé plusieurs langues, être préoccupée de culture, avoir visité la planète, avoir écrit des contes et un essai sur le féminisme, niet! C’est sur le cul qu’on veut m’entendre.
Vous vous demandez quelle mouche m’a piquée? Vous vous dites que je n’avais qu’à choisir un autre métier, un point c’est tout!? Aye! Un instant! Demande-t-on aux avocats de ne parler que de droit? Aux médecins de ne se prononcer que sur les thématiques de santé? Aux philosophes de socratiser sans arrêt…? Prenons l’exemple d’un parti politique ou d’un gouvernement. La brochette de personnes qui le compose vient de tous les horizons — droit, médecine, arts, enseignement, sociologie, ingénierie, journalisme, lettres, économie etc. — Ces hommes et ces femmes ont des intérêts et des idées sur un ensemble de dossiers et une vision qui vont bien au delà de leur formation académique. Il ne nous viendrait pas à l’esprit de croire que leur métier ou profession les empêche d’avoir un regard plus large sur le monde et des propositions pour le bonifier. Avez-vous remarqué qu’aucun sexologue n’occupe un poste public en vue? Qu’aucun n’est jamais sollicité pour se présenter en politique (même si la sexualité est une réalité hautement politique) ou pour occuper le siège d’un C.A.? En dehors de leur carré de sable, ils sont inexistants, confinés dans les limbes. Serez-vous étonnés d’apprendre qu’ils ne sont pas plus bêtes que d’autres? Qu’il y a parmi eux et elles, comme dans toutes les disciplines, des crétins et des esprits brillants. Je ne vois qu’une raison à cette exclusion: le sexologue, si bardé fusse-t-il d’expériences humaines, de connaissances ou de diplômes universitaires, n’est pas pris au sérieux. On le « pornographise » .
Je suis sexologue et je m’en glorifie. N’empêche, j’en ai ras le bol qu’on me croit incapable en dehors du sexe. Comme si j’étais une tarte. Une tarte aux petits fruits du péché. J’écris régulièrement des opinions qui sont publiées dans les journaux , je participe souvent à des émissions de radio et de télé sur des thématiques sociales ou plus intimistes liées à l’univers de la sexualité. Demandez à n’importe quel de me mes collègues, dès que nous tentons d’exposer une opinion citoyenne qui déborde notre champ, on reste sourd, peu importe l’originalité de la pensée, la solidité argumentaire, la clarté de la construction.
Sarkozy est à la une ces temps-ci. J’ai, sur lui, des idées que personne n’a jamais exprimées. Normal, je suis une femme intelligente, assez fine observatrice, intéressée par la politique et je vis presque autant en France qu’ici. Sur sa récente et inconvenante sortie sur les souverainistes québécois, nul n’a fait valoir que Sarko veut devenir président de l’Europe. Il est prêt à tout pour y arriver. Dans cette foulée, il utilisera, avec la grâce d’un voyou et qu’importe les bévues, toutes les tribunes lui permettant de se péter les bretelles « fédératives et unificatrices… »
Pourquoi la collectivité préjuge-t-elle qu’un sexologue ne s’intéresse à rien d’autre qu’au cul…? Quand donc cessera-t-on d’enfermer tout un corps professionnel à la cave, à réparer la plomberie de sa tuyauterie intime? Il ne me viendrait pas à l’esprit de ne pas prêter attention à un avocat s’exprimant sur une question psychologique. Cela, même si je sais bien que son parcours professionnel teinte son appréciation. Que ma formation et ma pratique sexologiques colorent mes analyses, rien de plus normal. Et riche. Je me rends bien compte, par exemple, que je vois dans le phénomène Obama des aspects qui échappent à d’autres. ( J’en profite pour vous confier qu’Obama est un vrai mâle alpha alors que Sarko est un wannabe , un « aspirant à … » )
Je sais bien que l’ostracisme des sexologues, des univers socio-politico-culturels, est inconscient (maudit Freud!). Ou presque. C’est bien pour cela qu’il faut faire monter un peu ce magma à la surface de la conscience.