Ici, au Québec, c’est dans la nuit du 8 au 9 mars qu’on changera l’heure. Je me plais à imaginer que même le cadran solaire se met de la partie pour mettre en lumière les droits et combats des femmes; que l’astre de feu se range derrière les femmes. J’ai bien le droit de rêver…
Un peu d’histoire
C’est au début du XXe siècle qu’a éclos, ici et là sur la planète, le germe d’une « Journée internationale des femmes ».
À l’initiative des sociales-démocrates Clara Zetkin et Alexandra Kollontaï, cette journée fut approuvée à l’unanimité lors d’une conférence réunissant 100 femmes en provenance de 17 pays. Cela se passait à Copenhague, en 1910.
On dit aussi que la tragédie du 25 mars de cette même année – incendie dans un atelier textile de New York qui tua 140 ouvrières enfermées à l’intérieur de l’usine – incita à commémorer le souvenir de ces femmes, mortes sur le lieu de leur exploitation, lors d’une journée qui marquerait et lierait la lutte des femmes et le mouvement ouvrier. Aux Etats-Unis, une Journée nationale de la femme (National Woman’s Day) est célébrée, dès le début du XXe siècle, à l’appel du Parti socialiste d’Amérique.
Dans le cadre du mouvement pacifiste contre la première guerre mondiale qui sourdait, des femmes d’Europe organisent fin février et début mars des rassemblements contre la guerre. Puis, c’est Lénine qui, en 1921, décréta le 8 mars « Journée internationale des femmes » en souvenir de ce 8 mars 1917, considéré comme le premier jour de la Révolution russe alors que les femmes manifestèrent pour réclamer du pain et le retour de leurs maris partis au front. Cette célébration s’étendra ensuite à tout le bloc de l’Est, chaque femme y recevant, à cette occasion, des fleurs de leurs époux, fils, petit-fils, collègues ou amis.
Une légende veut aussi que l’origine du 8 mars remonte à une manifestation d’ouvrières américaines du textile en 1857. En France, une autre hypothèse accorde l’initiative à la féministe Madeleine Colin qui souhaitait affranchir le 8 mars de sa tutelle communiste pour en faire le jour- lutte de toutes les travailleuses.
J’en passe…
C’est en 1977, il y a 37 ans, que cette journée, issue des luttes féministes menées sur les continents européen et américain, est officialisée par les Nations Unies qui invitent tous les pays à célébrer un 8 mars pour les droits des femmes. Désormais fêté à peu près partout dans le monde, le 8 mars fait partie des 87 jours reconnus ou initiés par l’ONU. C’est une journée de manifestations, occasion de revendiquer l’égalité, de faire un bilan sur la situation des femmes dans la société, de fêter les victoires et les avancées.
Un peu de mots
La désignation officielle de la journée par l’ONU est, en français, « journée internationale de la femme » et, en anglais, « journée internationale des femmes » (International Women’s Day)
Je fais partie de celles qui jugent inadéquate l’utilisation du singulier, « journée de la femme », expression induisant une vision naturaliste ainsi que des opérations marchandes comparables à la Saint-Valentin, lesquelles sont à mille lieues du combat pour les droits des femmes.
L’an dernier, la ministre française des droits des femmes (appellation tellement plus judicieuse que ministre de la « condition » féminine, soit dit en passant), Najat Vallaud-Belkacem, dénonçait une journée de “la” femme, qui met de l’avant un soi-disant idéal féminin accompagné de ses attributs – cadeaux, roses ou parfums – et souhaitait une journée de mobilisation pour rappeler que l’égalité femmes-hommes est une priorité.
Exit la Journée de la femme. Bonjour la Journée des femmes ! Célébrons cette journée des droits des femmes !
J’oubliais. La journée internationale des femmes est jour férié dans 29 pays. Formidable non ? Ce jour là, les femmes sont exemptées du double emploi !
Un 8 mars nécessaire ? Même en Occident ?
Oui.
- Parce que, même en Occident, l’égalité entre les hommes et les femmes, quoi que prétendent certains, n’est pas advenue . Ni sur les plans de l’équité salariale, de la parité de représentation politique, du partage des tâches domestiques, ni sur aucun autre plan
- Parce que les acquis sont fragiles et que les droits des femmes gagnés de chaude lutte, sont menacés : avortement, éducation à une sexualité égalitaire, retour en force des religions intégristes qui infériorisent les femmes…
- Parce que nos sociétés de consommation, « hypersexuelles », en sexualisant le corps des fillettes, en infantilisant celui des femmes ont dressé la table à une culture de la violence sexuelle qui s’installe efficacement au détriment de la dignité des femmes. En témoignent, toutes les actualités qui rapportent des situations de viols collectifs, de violence exercée sur les filles et femmes
- Parce que trop de spécialistes tentent de nous persuader d’une explication « biologisante », justifiant l’injustifiable, tolérant l’intolérable, cautionnant subtilement la violence. Le viol et la violence sexuelle à l’endroit des femmes, ne sont pas des actes de trop-plein de désir et de libido. C’est le mépris et la rage de soumettre qui incitent à l’agression sexuelle. La toute puissante testostérone ne pousse, ni les hommes ni les bêtes, à se regrouper pour pénétrer une femelle par tous ses orifices, non plus qu’à l’arroser d’un panaché spermatique
- Parce qu’ici en Occident, on se bat encore pour l’égalité. Et on se bat aussi, de plus en plus, pour la dignité.
Pour illustrer mon propos, voici, tel que libellés à mon agenda professionnel, les thèmes sur lesquels on m’a interpellée ces dernières semaines. En commençant par les plus récents, sans en retrancher ni en ajouter.
- Allégation de viol collectif commis par groupe de joueurs de hockey dans une université canadienne
- Menaces de sévices sexuels à l’endroit de la présidente de la Fédération étudiante de la même Université de la part de ses collègues
- Compagnie canadienne de vêtements, ciblant les 16-30 ans, qui montre dans sa publicité web une jeune femme inconsciente, transportée sur les épaules d’un homme des bois sauvage. Impression qu’elle vient d’être violée ou qu’elle va l’être
- Firme qui vend et organise des gang bang montréalais via le web. Dix à 15 hommes soumettent une fille à toutes leurs fantaisies de domination
- Entreprise qui organise les sauteries extraconjugales de ses clients de manière impeccable et sans faille : rendez-vous, lieu, réservation de chambre d’hôtel, paiement… tout est prévu. Aucune trace sur la carte de crédit de l’infidèle!
- Concours de Mini Miss, ces petites lolitas âgées de 6 mois à 7-8 ans déguisées en femmes fatales aguicheuses
- Sites de rencontre pour ados. On leur y promet le grand amour dès 11 ans. Attention, les cyber pédophiles sont au rendez-vousI
- Industrie qui fabrique des suces[1] sexy pour bébés filles. Et oui, un fabricant met en marché des tétines pour sexy baby girl
- Colloques sur l’hypersexualisation des fillettes et sur la sexualisation du corps des enfants via la pub, la mode, les vêtements, la musique…
- Énième blogueur trash qui fait saliver ses milliers des supporters en décrivant des scènes de violence sexuelle
- Parents d’une adolescente suicidaire, victime d’un viol collectif, dont les images circulent sur le web
- Parents qui découvrent que leur jeune fille de 14 ans se prostitue et est l’esclave sexuelle d’une gang de rue. Si le médecin n’avait pas découvert qu’elle se scarifiait, ils l’ignoreraient peut-être encore
- Médecin chirurgien esthétique qui s’inquiète des demandes de chirurgie génitale féminine
- Couples en difficulté en raison de la sévère dépendance de monsieur à la pornographie
- Blondie, cette californienne de 38 ans qui, après s’être soumise à des dizaines de chirurgies plastiques, suit des séances d’hypnose pour devenir moins intelligente i.e. pour correspondre davantage au statut de strict objet sexuel
- Homme qui, dans le but d’une méga-performance sexuelle a pris une surdose de Cialis. Après 23 heures en érection il s’est résolu à aller à l’urgence où on a sauvé son pénis in extremis, mais pas sa fonction érectile. Il n’aura plus jamais d’érections naturelles …
Voilà. Et dire que lorsque je me suis engagée sur la voie de la sexologie, de la sexosophie et de l’éducation à l’érotisme, je pensais que je naviguerais sur les eaux de la joie, du plaisir partagé et de la dignité humaine, égalitaire, identitaire et sexuelle…
Mais somme-nous donc si sexuels ?
Bien non. Vous le voyez bien. Nous sommes plus obsédés par le sexe. Pas plus sexuels. La sexualité n’est pas célébrée. On infuse dans le spectacle sexuel, le divertissement voyeur, masturbateur, exhibitionniste, performant…
Le sexe serait-il encore tabou ? La pornographie s’est démocratisée, la sexualité est tabou. À preuve, on n’en parle ni plus ni mieux qu’avant. Ni entre amoureux, ni entre amants, ni entre parents et enfants, ni entre professeurs et élèves.
L’érotisme ? En régression.
L’amour ? Il est suspect. Parfois obscène.
Le désir ? On le confond avec une pilule bleue
La violence sexuelle est trending. La vague déferlante ne passe pas. Elle s’incruste.
En attendant que le 8 mars dure toute l’année, cette journée internationale des droits des femmes est absolument nécessaire.
Même si elle ne permettait que de mettre en lumière et en perspective, nos gains, nos régressions et le chemin à parcourir, ce serait déjà ça.
Une confidence. Le 8 mars sera désuet, obsolète et révolu lorsque l’égalité absolue, entre les hommes et les femmes sera défendue, à tous égards, autant par les hommes que par les femmes.
J’aimerais bien voir cela. Assister à l’avènement de cette cohésion humaine. Je ne demande même pas de voir, de mon vivant, l’égalité complète réalisée. Juste la solidarité entière, absolue et soutenue, entre les hommes et femmes, pour l’obtenir. J’ai bien le droit de rêver…
[1] Pour le lectorat franco-français, une suce est une tétine.
Ce billet a également été publié dans le Huffington Post Québec du 8 mars 2014