Texte mis à jour le 31 décembre 2017.
« La pornographie existe depuis toujours. Depuis que le monde est monde. »
C’est en entendant André Champagne faire cette affirmation, que je cite de mémoire, sur les ondes de Radio-Canada, que j’avais eu l’idée d’écrire ce billet. Nonobstant le respect que je voue à l’historien, je m’étais demandé d’où venait cette certitude: « Ah bon… Où sont donc les traces de cette violence pornographique dans les grottes alors ? ». J’avais posé ma question, via le site de l’émission (Medium Large ) et içi et là sur les réseaux sociaux. Aucune réponse ne m’était parvenue.
Vous comprendrez, j’en suis certaine, que l’idée ici n’est pas de mettre en tort mais bien de questionner, en cette période de l’année où on se souhaite paix et amour, des idées reçues désespérantes, navrantes, peut-être sans réel fondement :
– La violence et la guerre sont au cœur de la nature humaine. On ne changera pas l’homme…
– Le viol et les agressions sexuelles de femmes et d’enfants ont toujours existé et existeront toujours…
– La pornographie et l’exploitation sexuelle des femmes sont là depuis le début du monde…
À force d’entendre de telles sentences, sorties tout droit de la tête des anthropologues du 19e siècle, on a fini par y croire mordicus. Par expliquer le monde à travers elles. Par s’avouer défaits et défaitistes.
Non, la violence n’est pas « naturelle »
Or, la violence n’est pas naturelle. L’agressivité, nécessaire à la survie, oui. La violence est un dérapage, une construction. La thèse voulant que l’humanité ait toujours été en guerre est de plus en plus souvent contestée par des spécialistes de la préhistoire. Marylène Patou-Mathis, préhistorienne du Musée national d’histoire naturelle de Paris, déboulonne ce mythe avec brio et érudition dans son ouvrage: Préhistoire de la violence et de la guerre.
Elle montre qu’aucune trace de guerre n’existe dans la préhistoire de l’humanité. Nulle trace de guérillas entre les groupes, nulle preuve de massacres de masse n’ont été observées avant le Néolithique, cette période marquée par de profondes mutations techniques et sociales liées à la naissance d’une économie de production. C’est donc à partir du Néolithique seulement, qu’on peut noter des scènes de violence dans l’art pariétal.
Ce serait donc, en toute logique, l’arrivée de la production, de l’accumulation, puis du stockage qui aurait bouleversé l’ordre des choses. Les systèmes guerriers se seraient mis en place dès lors que l’on commença à hiérarchiser les surplus. La notion de «transmission des biens» faisait son apparition, initiant le passage d’une structure matrilinéaire au système patriarcal qui subsiste encore de nos jours.
Les déesses de l’ère paléolithique, Vénus de Willendorf et autres sublimes et opulentes mater materia, sont alors détrônées au profit des divinités masculines qui naissent et fourmillent désormais.
Bien sûr, on peut trouver quelques traces de sacrifices rituels d’individus. Mais jamais de vestiges de luttes de territoires ou de batailles pour conquérir des possessions puisque le chasseur-cueilleur-collecteur d’avant le Néolithique n’accumulait rien. Chez lui, l’empathie, la coopération et le partage semblaient régner bien davantage que l’égoïsme et l’affrontement.
Pour Patou-Mathis, il est clair que c’est l’évolution sociale ( si tant est qu’on puisse, dans ce cas-ci, parler d’évolution ) qui a été un détonateur puis un catalyseur de violence. Elle conteste aussi énergiquement, l’idée voulant que Cro-Magnon aurait anéanti le Néandertalien. Raison : là non plus aucune trace d’affrontement n’a été retrouvée. Ni dans les ossements et squelettes répertoriés, ni dans les dessins rupestres.
Non, la violence sexuelle n’est pas naturelle.
Le même raisonnement vaut pour les violences sexuelles, viols et agressions sexuelles de femmes et d’enfants : zéro trace de semblables dérapages avant le Néolithique.
Quant à la pornographie, elle n’existait vraisemblablement pas. Du moins, pas dans les termes violents, méprisants et dominateurs qui l’ont caractérisée sans cesse plus fortement jusqu’à nos jours ( gang bang, viol, viol collectif, éjaculation faciale, triple pénétration, brutalité corporelle etc etc) . Les représentations de corps de femmes nues au sexe offert ou ceux de déesses fécondes aux seins admirables et immenses n’ont rien de pornographique. Pas plus que ces illustrations de mâles au phallus brandi. Les notions de fête et de célébration dominaient les scènes de nudité retrouvées, bien plus que la volonté de posséder, de soumettre et d’exercer du pouvoir. Si ce sont ces images sexuelles ou de nudité que certains qualifient de pornographie, une discussion s’impose.
Alors, d’où nous vient cette idée d’une violence constitutive de l’homme ?
Comme je l’ai évoqué au début, cette pensée se serait insinuée en nous, fécondée par les théories anthropologiques spéculatives du 19e siècle. Les connaissances et récoltes sur la préhistoire n’étaient pas celles d’aujourd’hui. Les savants de cette époque, soit créationnistes, soit fraîchement évolutionnistes classaient les hommes préhistoriques au rang des barbares-cannibales-guerriers. Et puis, toute cette chimère aura été nourrie par l’imaginaire collectif, les romans, les œuvres de fiction mettant en scène, de façon systématique et péremptoire, des êtres humains préhistoriques enragés, dangereux et violents.
Enfin, l’idée ( prétentieuse ?) ou le désir de croire en une évolution positive de l’être humain régnait, et règne toujours. Comme si , la société humaine actuelle devait, forcément, s’être bonifiée, être meilleure que toutes ses précédentes…
Souhaits de l’an 2018
Pour se souhaiter et effleurer la paix, la bienveillance et la sérénité, peut-être pourrions-nous commencer 2018 en se souvenant que la violence n’est pas incrustée dans la nature humaine. Pas plus dans celle de l’homme que dans celle de la femme. Il me semble que ce savoir est un point de départ susceptible de nous donner confiance en notre capacité d’endiguer les violences et plus spécifiquement la violence, sexuelle et non sexuelle, à l’égard des femmes.
La violence est une construction. Et tout ce qui a été construit peut être déconstruit.